vendredi, juillet 20, 2018

L'ETRANGER (Albert CAMUS)
 
J'ai lu  ce premier roman de Camus , il y a bien longtemps! .
 
Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile: "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire.  C'était peut-être hier. page 9
 
Dans la petite morgue, il m'a appris qu'il était entré à l'asile comme indigent. Comme il se sentait valide, il s'était proposé pour cette place de concierge.  Je lui ai fait remarquer qu'en somme il était un pensionnaire. Il m'a dit que non. J'avais déjà été frappé par la façon qu'il avait de dire ": ils" , "les autres", en parlant des pensionnaires dont certains n'étaient pas plus âgés que lui. Mais, naturellement, ce n'était pas la même chose. Lui était concierge, et, dans une certaine mesure, il avait des droits sur eux. page 16
 
Quand je suis sorti, le jour était complètement levé. Au-dessus des collines qui séparent Marengo  de la mer, le ciel était plein de rougeurs.  Et le vent qui passait au-dessus d'elles apportait une odeur  de sel. c'était une belle journée qui se préparait. Il y avait longtemps que j'étais allé à la campagne et je sentais quel plaisir  j'aurais pris à me promener s'il n'y avait pas eu  maman. page 22
 
J'ai eu de la peine à me lever parce que j'étais fatigué de la journée d' hier. Pendant que je me rasais, je me suis demandé ce que j'allais faire et j'ai décidé d'aller ma baigner. J'ai pris le tram pour aller à l'établissement de bains du port. Là, j'ai plongé dans la passe. Il y avait beaucoup de jeunes gens. page 34
 
C'est seulement quand il m'a déclaré: "tu es un vrai copain" que cela m'a frappé. (le tutoiement) Il a répété sa phrase et j'ai dit: "Oui". Cela m'était égal d'être son copain et il avait vraiment l'air d'en avoir envie. page 54
 
Peu après, le patron m'a fait appeler, et, sur le moment, j'ai été ennuyé parce que j'ai pensé qu'il allait me dire de moins téléphoner et de mieux travailler. Ce n'était pas cela du tout. Il m'a déclaré qu'il allait me parler d'un projet encore très vague. Il voulait seulement avoir mon avis sur la question. Il avait l'intention d'installer un bureau à Paris qui traiterait ses affaires sur place, et directement avec les grandes compagnies et il voulait savoir si j'étais disposé à y aller. Cela me permettrait de vivre à Paris et aussi de voyager une partie de l'année. "Vous êtes jeune  et il me semble que c'est une vie qui doit vous plaire". J'ai dit  oui mais que, au fond, cela m'était égal. Il m'a demandé alors si je n'étais pas intéressé par un changement de vie. J'ai répondu qu'on ne changeait jamais de vie....page 68
 
Il (son voisin de palier) n'avait pas été heureux avec sa femme, mais dans l'ensemble, il s'était habitué à elle. Quand elle est morte, il s'est senti très seul....Sa vraie maladie, c'était la vieillesse, et la vieillesse, on ne guérit pas. page 74
 
C'était le même éclatement rouge. Sur le sable, la mer haletait de toute la respiration rapide et étouffée de ses petites vagues.  Je marchais lentement vers les rochers et je sentais mon front se gonfler sous le soleil. page 91
 
Il (l'avocat) s'est assis sur le lit et m'a expliqué qu'on avait pris des renseignements sur ma vie privée. On avait su que ma mère était morte récemment à l'asile. On avait fait une enquête à Marengo. Les instructeurs avaient appris que " j'avais fait preuve d'insensibilité" le jour de l'enterrement de maman....Il m'a demandé si j'avais eu de la peine ce jour-là. Cette question m'a beaucoup étonné...J'ai répondu cependant que j'avais un peu perdu l'habitude  de m'interroger et qu'il m'était difficile de le renseigner. Sans doute, j'aimais bien maman mais cela ne voulait rien dire. Tous les êtres sains avaient  plus ou moins souhaité la mort de ceux qu'ils aimaient. pages 101, 102
 
...Il m'a exhorté une dernière fois, dressé de toute sa hauteur, en me demandant si je croyais en Dieu. J'ai répondu que non. Il s' est assis avec indignation. Il m'a dit que c'était impossible, que tous les hommes croyaient en Dieu, même ceux qui se détournaient de son visage. C'était là sa conviction et , s'il devait jamais en douter,  sa vie n'aurait plus de sens. "Voulez-vous, s'est-il exclamé,  que ma vie n'ait pas de sens? " A mon avis, cela ne me regardait pas et je le lui ai dit. page 108
 
J'étais un peu étourdi aussi par tout ce monde dans cette salle close. J'ai  regardé encore le prétoire et je n'ai distingué aucun visage. je crois bien que d'abord, je ne me suis rendu compte que tout  ce mon de se pressait pour me voir. D'habitude, les gens ne s'occupaient de ma personne. Il m'a fallu un effort pour comprendre que j'étais la cause de toute cette agitation. J'ai dit à un gendarme: "Que de monde!" Il m'a répondu que c'était à cause des journaux et il m'a montré un groupe qui se tenait près d'une table sous le banc des jurés. Il m'a dit: "Les voilà!" J'ai demandé : "Qui? " et il a répété : " Les journaux."...J'ai remarqué que tout le monde se rencontrait, s'interpellait et conversait, comme dans un club où l'on est heureux de se retrouver entre gens du même monde. page 129 
 
Même sur un banc d'accusé, il est toujours intéressant  d'entendre parler de soi. Pendant les plaidoiries du procureur et de mon avocat, je peux dire qu'on a  beaucoup parlé de moi et peut-être plus de moi que de mon crime. page 151
 
Moi, j'écoutais et j'entendais qu'on me disait intelligent.  Mais je ne comprenais pas bien comment les qualités d'un homme ordinaire pouvaient des charges écrasantes contre un coupable. Du moins, c'est cela qui me frappait et je n'ai plus écouté le procureur jusqu'au moment où je l'ai entendu dire: 'A-t-il seulement exprimé des regrets? Jamais messieurs. Pas une seule fois au cours de l'instruction, cet homme n'a paru ému de son abominable forfait. " A ce moment, il s'est tourné vers moi...Page 154
 
C'est à l'aube qu'ils venaient, je le savais.  En somme, j'ai occupé mes nuits à attendre cette aube. Je n'ai jamais aimé être surpris. Quand il m'arrive quelque chose,  je préfère être là. C'est pourquoi j'ai fini par ne plis dormir qu'un peu dans mes journées et, tout le long de la nuit, j'ai attendu patiemment que la lumière naisse sur la vitre du ciel. Le plus difficile, c'est l'heure douteuse où je savais  qu'ils opéraient d'habitude. Passé minuit, j'attendais et je guettais. Jamais mon oreille n'a perçu tant de bruits, distingué  de sons si ténus. page 172
 
Je prenais toujours la plus mauvaise supposition: mon pourvoi était rejeté. "Eh bien, je mourrai donc"! Plus tôt que d'autres, c'est évident. Mais tout le monde sait que la vie ne vaut pas d'être vécue.
 page 173
 
C'est à un moment semblable que j'ai refusé une fois de plus l'aumônier.  J'étais étendu et je devinais l'approche du soir d'été à une certaine blondeur du ciel...Quand je l'ai vu, j'ai eu un petit tremblement.  Il s'en est aperçu et m'a dit de ne pas avoir peur...Il a relevé la tête brusquement et m'a regardé en face: " Pourquoi, m'a-t-il dit, refusez-vous mes visites?" J'ai répondu que je ne croyais pas en Dieu. Il a voulu savoir si j'en étais bien sûr et j'ai dit que je n'avais pas à me le demander....Je lui ai expliqué que je n'étais pas désespéré. J'avais seulement peur, c'était bien naturel. "Dieu vous aiderait  alors, a-t-il remarqué...."N'avez-vous donc aucun espoir et vivez-vous avec la pensée que vous allez mourir en entier?" - "Oui, ai-je répondu. pages 174 et suivantes.
 
Il voulait encore me parler de Dieu....Alors, je ne sais pourquoi, il y a eu quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l'ai insulté et lui ai dit de ne pas prier. Je l'ai pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l'air si certain, n'est-ce-pas? Pourtant, aucune  de ses certitudes ne valait pas un cheveu de femme. Il n'était pas si sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais, j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir....Rien n'avait d 'importance et je savais bien pourquoi. Lui aussi, savait pourquoi. Du fond de mon avenir, pendant toute cette vie absurde que j'avais menée, un souffle obscur remontait vers moi à travers  des années qui n'étaient pas encore venues et ce souffle égalisait  sur son passage tout ce qu'on me proposait alors dans les années pas plus réelles que je vivais. Que m'importaient la mort des autres, l'amour d'une mère, que m'importaient son  Dieu, les vies qu'on choisit, les destins qu'on élit, puisqu'un seul destin devait m'élire moi-même et avec moi, des milliards de privilégiés qui, comme lui, se disaient  mes frères...Tout le monde était privilégié. Il n'y avait que des privilégiés. Les autres aussi, on les condamnerait un jour; Lui aussi, on le condamnerait. pages 182, 183
 
Lui parti, j'ai retrouvé le calme....La merveilleuse paix de cet été entrait en moi comme une marée. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi  à la fin de sa vie, elle avait pris un "fiancé"....Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt  à tout revivre. Comme si cette colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première  fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi,  si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter  qu'il y ait beaucoup  de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. pages 185, 186
 

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