dimanche, septembre 09, 2018

LE VAISSEAU DES MORTS ( B. Traven)

"Le bateau de Gérard Gale a quitté le port d'Anvers sans lui. Commence alors pour ce marin américain une odyssée à travers l'Europe des années 1920. Sans papiers, sans argent, il n'est plus rien, n'existe plus, chaque pays tente de se débarrasser de lui en lui faisant passer en douce la frontière la plus proche. Il s'embarque, finalement, sur la Yorikke, un vaisseau fantôme, un "vaisseau des morts", ce cercueil flottant voué au naufrage pour que l'armateur touche l'assurance, et toujours assez bon, tant qu'il tient l'eau, pour se livrer à tous les trafics. Il y connaîtra l'enfer.
 
Premier roman de B. Traven, publié en Allemagne en 1926, Le Vaisseau des morts dénonce le capitalisme et inégalités sociales, sans fausse candeur. Si le burlesque l'emporte dans les premières pages, le réalisme s'impose bientôt pour décrire les conditions d'existence de ceux qui,  dépoullés de tous leurs droits, morts vivants, acceptent les indignités les plus scandaleuses, sans cesser  pourtant d'espérer."
 
Les histoires de marins romanesques appartiennent au passé depuis longtemps. D'ailleurs, à mon avis,  ce romantisme n'a jamais existé.  Pas sur les bateaux à voile, et pas en mer. Il n'existe que dans l'imagination des auteurs qui ont écrit sur la mer. Ces histoires mensongères  ont poussé nombre de braves petits gars à se lancer dans l'aventure. Et ils se sont retrouvés anéantis sur le plan physique et moral, parce que, mal préparés, ils pensaient, avec une foi puérile, que les écrivains avaient fidèlement restitué la réalité. Peut-être que la vie de capitaine, de timonier a eu jadis ses côtés romanesques. Mais celle de l'équipage jamais.
Je n'étais qu'un simple matelot et devais donc faire tout ce qu'on me demandait. page 12
 
(Le bateau est à Anvers) Très tôt, le lendemain, je courus au port. Mais plus de Tuscaloosa. L'emplacement est vide. Le bateau était retourné sans moi au pays, au soleil de la Nouvelle -Orléans. page 16
 
L'affaire était très sérieuse, au contraire.  Qu'on y réfléchisse un peu: je ne possède ni  livret de marin, ni carte d'identité, ni autre papier....page 24
 
- " Je n'ai pas d'argent, et je n'en suis pas encore à mendier.
- Attendez un instant.
 Il se leva (le consul des Etats-Unis à Rotterdam)  et passa dans un autre bureau. Au bout de quelques minutes, il  revint avec une carte.
- Tenez cette carte vous donne droit d'être logé et nourri pendant trois jours au foyer du marin. N'hésitez pas à la proroger.  Essayez toujours, vous trouverez peut-être un bateau d'une autre nationalité." page 33
 
Seuls les riches connaissent la valeur de l'argent, parce qu'ils ont le temps de l'évaluer.  Comment peut-on apprendre à reconnaître la valeur d'une chose qu'on vous reprend aussitôt?  On nous rabâche pourtant  que seul celui qui n'a rien sait ce que vaut un cent. D'où les oppositions de classe. page 38
 
En ces temps de démocratie achevée, l'hérétique, c'est le sans-passeport, l 'individu n' a donc pas le droit de vote. A chaque époque, ses hérétiques, à chaque époque son Inquisition. Aujourd'hui, le passeport, le visa, l'anathème dont est frappée l'immigration, sont les dogmes sur lesquels s'appuie l'infaillibilité du pape, auxquels  il faut croire si on veut éviter d'être soumis aux différents degrés de torture. Jadis, les tyrans étaient les princes, aujourd'hui, c'est l'Etat. La fin des tyrans passe toujours par la déposition et la révolution, quel que soit le tyran. La liberté de l'homme est, depuis toujours, trop intimement  liée à son existence et à sa volonté pour qu'il puisse supporter longtemps une tyrannie, même si cette tyrannie se drape dans l'habit de velours mensonger du droit à la cogestion. page 53
 
Les individus sont les atomes de la race humaine. page 77
 
Pour la première fois de ma vie, je mesurai à quel point nous étions barbares et les Français civilisés.  Je compris que la nourriture des êtres humains ne devrait pas être simplement bouillie, frite, étuvée, grillée ou rôtie, mais préparée, et que cette préparation était un art, non, disons un don, que certains élus, bénis  des dieux, recevaient au berceau, et qui faisaient d'eux des génies....
Ici, ( en France) les mets ressemblaient à des poèmes qui vous font rêver et vous plongent dans  la béatitude. page 79
 
Il y a un grand nombre de pays  où le fait d'être un sans abri et sans ressources constitue un délit; et par pur hasard,  ce sont précisément les pays qui s'adonnent à un pillage  de grande envergure et ne pas  se faire pincer, loin d'être un délit, sert de marchepied pour  devenir un citoyen estimé. page 91
 
L'homme qui a émigré  il y a cinq ans  en Amérique et qui a obtenu hier sa nouvelle nationalité,  est celui qui crie  le plus sauvagement: " Fermez les frontières, ne laissez plus entrer personne . "  Et pourtant, ce sont tous des immigrants et des fils d'immigrants, y compris le Président. page 94
 
La Yorikke ne ressemblait ni de près ni de loin, à un bateau raisonnable , sain d'esprit. Cela aurait été une insulte pour les autres navires voguant sur les sept mers. Son aspect reflétait tellement son esprit, son âme, son être et son comportement que l'on pouvait à bon droit douter de sa santé mentale. page 104
Tout naturellement, donc, quand on me demanda si je voulais du boulot, je répondis oui. Une force intérieure à laquelle je ne pouvais me soustraire m'y poussait. page 113
 
Partie II
Avertissement
gravé à l'entrée
du poste de pilotage
du vaisseau fantôme.
 
Celui qui entre ici
Abandonne son nom et sa vie
Au vent qui les emporte.
Nulle trace de lui ne restera
Dans le vaste, vaste  monde.
Il ne peut rebrousser chemin.
 Pas plus qu'aller de l'avant,
Cloué sur place, il est envoûté.
On ne le connaît plus au ciel ni en enfer.
Il n'est plus ni clarté, ni obscurité,
Mais le néant, le rien, le jamais,
Trop grand pour l'immensité,
Trop  petit pour le grain de sable
Qui a  sa place dans l'univers,
Il est l'Inexistant,
Il est l'Inconcevable! page 119

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