lundi, septembre 03, 2018

LE SUSPENDU DE CONAKRY ( J. C; Rufin)

Comment cet Aurel Timescu peut-il être Consul de France?
Avec son accent roumain, sa dégaine des années trente et son passé de pianiste de bar, il n'a rien à faire au Quai d'Orsay. Il végète d'ailleurs dans les postes subalternes.
Cette fois, il est en Guinée, lui qui ne supporte pas la chaleur. Il prend son mal en patience, transpire, boit du tokay et compose des opéras.
Quand, tout à coup, survient la seule chose au monde qui puisse encore le passionner: un crime inexpliqué.
 
Suspendu ce plaisancier blanc? A quoi? Au mât de son voilier, d'accord. Mais avant. Suspendu à des événements mystérieux. A une preuve d'amour qui n'arrive pas. A un rêve héroïque  venu de très loin.... En tout cas, il est mort.
Son assassinat resterait impuni si Aurel n'avait pas trouvé l'occasion de livrer enfin un grand combat.
Contre l'injustice.
 
Nul n'osait parler. Tout le monde s'observait car, ensuite, il faudrait se souvenir et raconter aux autres. page 8
La foule repue d'images morbides, commença à se disperser, en commentant la scène. page 12
Il était midi quand le chauffeur déposa Aurel, membre du service consulaire de l'ambassade de France, à l'entrée de la marina. Malgré sa petite taille et ses membres fins, il lui fallut déployer beaucoup d'efforts pour s'extraire de la voiture. C'était une Clio  à deux portières, le véhicule le plus modeste et le plus déglingué du service, le seul que son patron, le Consul Général l'autorisât à utiliser. Aurel se comportait comme s'il s'était agi d'une grosse berline....la dignité comme le bonheur sont des attributs de la souveraineté. Chacun de nous peut s'en saisir, s'il en a la volonté. pages 12, 13
 
....Aurel, l'adjoint calamiteux qu'on avait affecté dans ses services ( ceux qui Consul général de France à Conakry). " un Roumain, figurez-vous, et qui parle avec un accent terrible. Il est tellement catastrophique que l'on ne put rien lui confier. Je l'ai relégué dans un placard. Littéralement. sans téléphone, ni ordinateur. Vous me demandez pourquoi on ne l'a pas mis à la porte?  Ce n'est pas faute d'avoir essayé! Tous ses chefs ont voulu se débarrasser de lui, moi comme les autres. Mais il est fonctionnaire titulaire. page 16

C'est un crime crapuleux, par excellence. Un vieux Blanc riche, . Il est là depuis six mois, il dépense ostensiblement, des gens l'observent et un jour, ils débarquent à son bord page 36

Dupertuis aimait sincèrement l'Afrique et il entretenait de véritables amitiés avec  ses collègues guinéens. On l'aurait beaucoup étonné en lui faisant remarquer qu'ils parlaient d'eux avec une condescendance qui n'était pas tout à fait sans évoquer la mentalité coloniale.   page 38
 
Dans la bousculade et l'agacement, le jeu consistait à demander à des Africains décidés à se rendre en France une quantité de documents inutiles qu'ils étaient obligés, le plus souvent, d 'acheter à prix d'or à des faussaires. Engloutie par le service des visas, cette masse de papiers était mâchée, digérée, absorbée et ressortait sous forme de cachets apposés ou non sur les passeports. Tout le monde finissait par entrer en France, avec un visa ou non.  page 40
 
Le Menêtrier ne répondit pas, laissant l'avenir ouvert. Il ne s'opposait pas puisqu'il n'en avait pas le pouvoir; mais il ne serait pas dit qu'il l'aurait formellement approuvé. page 44
 
Elle avait coiffé ses cheveux en 'arrière et son court chignon dégageait une nuque très longue qui lui donnait un air de biche. En même temps, son œil était froid: elle avait détaillé Aurel en un instant.
Il sentait qu'elle l'avait immédiatement classé dans la catégorie des minables. page 62
 
En se déclarant consul, Aurel devenait tout à coup prodigieusement intéressant. La valeur qu'il n'avait pas en lui-même, il l'acquérait par sa fonction. La fille leva les yeux de la carte de visite et le  gratifia d'un sourire qui pouvait  tout laisser promettre. page 65
 
En milieu guinéen, il valait mieux quelqu'un du cru pour mener l'enquête. Aurel savait que la présence d'un toubab, un Blanc, excitait toujours les gamins des quartiers. Il risquait d'être immédiatement entouré par des grappes d'enfants qui crieraient " argent! stylos! bonbons! etc....page 82
 
Aurel était habitué à la foule. Il avait été élevé dans un pays désorganisé où il fallait faire la queue à tout propos. Ce qui était difficile pour lui,  c'était de conserver  dignité et volonté dans de telles situations.  Son premier réflexe dans la foule, était de retrouver la soumission et la passivité que le monde communiste exigeait de ses sujets. Or, à présent, il devait garder l'initiative...page 85
 
Sa mère (de la femme de l'homme suspendu)  l'avait bien mise en garde: ( lors de son mariage) surtout ne pas mettre les mains dans le cambouis, refuser de jouer les caissières ou les femmes de ménage. En un mot, ne rien faire et se borner strictement à recevoir des présents et des hommages. Etre une reine, une égérie. Et transformer les revenus en luxe, le luxe en besoin, le besoin en exigences, pour que le mari travaille toujours plus. page 101
 
"Il t'a raconté des choses intéressantes?
- Pas tout de suite.  Vous savez comment ça se passe dans notre culture. Il faut s'asseoir , prendre le thé, prendre son temps. les policiers étaient trop pressés. Il ne leur a rien dit.
- Tandis qu'à toi....
Hassan sourit. Aurel était un homme qui comprenait les choses. C'est pour cela qu'il l'aimait bien. page 106
 
Aimée Mayères ( l'ex-femme du mort suspendu) était facile à trace sur Internet: elle adorait les clubs en tout genre, les postes honorifiques dans les organisations les plus variées. Ce qu'elle semblait affectionner le plus, c'étaient les cercles de bienfaisance. Pas ceux qui demandent un militantisme de terrain. Elle n'avait aucun goût pour les hôpitaux, les centres de distribution de nourriture, les foyers. Ce qu'elle aimait,  c'était la bienfaisance mondaine, les dîners de charité où l'on parle des pauvres mais en exhibant ses toilettes les plus chères. Aurel trouva un nombre incalculable d'articles tirés de journaux locaux, de sites associatifs ou municipaux dans lesquels on voyait Aimée Mayères, habillée comme un arbre de Noël, remettre des chèques factices en carton, recevoir des bouquets de fleurs, s'dresser sur scène à un parterre en tenue de soirée. Tout cela, il s'en doutait. Mais il cherchait autre chose. Un article du Var-Matin, le mit sur la voie. On y voyait Aimée Mayères sur un ponton donner le départ d'une régate. En tirant ce fil, Aurel tomba bientôt sur la confirmation de ses intuitions; le bateau,  c'était elle. (la meurtrière) page 137
Aimée avait jugé très tôt que la possession d'un bateau était une marque incontournable de réussite. Elle avait poussé Mayères dans cette direction....Parmi toutes les personnes qu'Aimée côtoyait sur ces photos, - et semblait tout à fait intime avec plusieurs d'entre elles -,  certaines étaient-elles susceptibles de se trouver en Guinée?  page 139
 
Les hiérarchies administratives africaines ont leurs codes. L'un d'eux, le principal peut-être, est la température. Plus un personnage occupe une fonction  importante, plus son bureau est réfrigéré. Dans les couloirs règne une chaleur qui ne vient pas seulement du dehors mais aussi des climatiseurs qui rejettent l'air en ces lieux voués à la circulation des subalternes. page 172
 
"Vous voyez ces cigarettes côte à côte? Je vais prendre celle dont j'ai besoin. C'est moi qui décide. Eh bien, les douanes , c'est pareil. Imaginez que vous avez là tous les services de l'Etat: les différentes directions de la police, les agences de renseignements, l'armée; les plongeurs de combat, les forces spéciales, la gendarmerie, l'aviation....Nous les utilisons en tant que besoin."
Comme tous les fonctionnaires, le douanier affectionnait cette expression, mais, lui, il y  trouvait plus qu'une commodité de langage....Il fallait lui obéir " en tant que de besoin".
Aurel comprit qu'une seule expression était de mise: l'admiration. Il s'était  exercé très tôt, sous la botte de Ceausescu, à cet exercice et  savait composer le visage qui convenait . Etonnement, approbation, soumission et terreur devaient être nettement perceptibles par l'interlocuteur, en sorte que celui-ci pût être assuré d'un complet triomphe. page 210, 211
 
Tout à coup, Aurel se redressa en poussant un cri. Il avait vu ce qui manquait. L'essentiel, ce n'était aucun des papiers qu'il avait collés au mur mais le trou qu'ils dessinaient tous ensemble. page 236
 
La ville à l'aube était encombrée de piétons car les pauvres, selon une loi universelle à laquelle Conakry ne fait pas exception, sont contraints de se lever plus tôt que les autres. page 239
 
"La culpabilité n'a pas besoin d'un objet pour exister. C'est un sentiment qui vient de nous et qui pousse sur un terreau d'émotions, de souvenirs qui nous est propre. Après, quand elle grandit, cette plante s'accroche à ce qu'elle trouve. Enfin, c'est mon avis" 'Aurel) page 304
 
 
 
 
 
 
 

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