mercredi, novembre 28, 2018

LE MONARQUE DES OMBRES paru en mai 2018 (Javier Cercas )

Un jeune homme pur et courageux, mort au combat , pour une cause mauvaise ( la lutte du franquisme contre la république espagnole) peut-il devenir, quoiqu'en s'en défende l'auteur, le héros du livre qu'il doit écrire? Manuel Mena  a dix-neuf ans quand il est mortellement atteint, en 1938,  en pleine bataille, sur les rives de l'Ebre. Le vaillant sous-lieutenant, par son sacrifice, fera désormais figure de martyr au sein de la famille maternelle  de Cercas et dans le village d'Estrémadure où il a grandi. La mémoire familiale honore et transmet son souvenir alors que surviennent des temps plus démocratiques, où la gloire et la honte changent de camp. Demeure cette parenté profondément encombrante, dans la conscience de l'écrivain: ce tout jeune aïeul phalangiste dont la fin est digne de celle d'Achille, chantée par Homère - mais Achille dans l'Odyssée  se lamentera de n'être plus que "le monarque des ombres" et enviera  Ulysse d'avoir sagement  regagné ses pénates.
Que fut vraiment la vie de Manuel Menas, quelle furent ses convictions, comment en rendre compte, retrouver des témoins, interroger ce destin et cette époque en toute probité, les raconter ,sans franchir la frontière qui sépare la vérité de la fiction?
L'immense écrivain qu'est Javier Cercas affronte ici ses propres résistances pour mettre au jour l'existence du héros fourvoyé, cet ange maudit et souverain dont il n'a cessé, dans toute son œuvre, de défier la présence.
 
Il s'appelait Manuel Mena et il est mort à l'âge de dix-neuf ans au cours de la bataille de l'Ebre. Sa mort advint le 21 septembre 1938, à la fin de la guerre civile, dans un village catalan du nom de Bot. C'était un franquiste fervent , ou du moins un fervent phalangiste, ou du moins, l'avait-il été au début de la guerre....Douze mois plus tard, il trouva la mort au combat, et durant des années, il fut le héros officiel de la famille. page 11
Je sentais que raconter son histoire ne voulait pas seulement dire que je prenais en charge son passé politique  mais aussi le passé politique de toute la famille, ce passé qui me faisait rougir de honte; je ne voulais pas prendre cela en charge, je ne voyais pas la nécessité de le faire et encore moins de l'ébruiter dans un livre.  pages 11 et 12.
 
Je dis qu'aucun événement , dans la vie de ma mère, ne fut aussi déterminant que le fait d'émigrer....Il y a près de vingt ans, je tentai d'expliquer à un ami  qu'émigrer , pour ma mère, signifiait qu'elle cessait, du jour au lendemain, d'être la fille privilégiée d'une famille de patriciens dans un village d'Estrémadure, où elle était tout, pour devenir un peu plus qu'une prolétaire ou un peu moins qu'une petite bourgeoise avec une flopée d'enfants sous le bras dans une ville catalane où elle n'était rien. page 14
 
Personne ne la gâtait autant que Manuel Mena et, aux yeux de sa mère, personne ne lui arrivait à la cheville: il était le plus jeune, le plus joyeux, le plus dynamique, celui qui lui apportait toujours des cadeaux, celui qui la faisait le plus rire et qui jouait le plus avec elle. Elle l'appelait l'Oncle Manomo; lui l'appelait Blanquita. page 19
 
Je compris  alors que la mort de Manuel Mena avait marqué,  au fer rouge , l'imagination de ma mère. page 21
 
Quand il (Manuel Mena) vint au monde, Iberhernando ( le village où la mère de l'auteur est née ainsi que Manuel Mena) était plus éloigné du XXè siècle  que du Moyen Age. page 30
 
"Tu vas écrire encore un roman sur la guerre civile? T'es con ou quoi? Ecoute, la première fois, ça marché, tu as pris le public au dépourvu. ...Maintenant, c'est  plus pareil, ils vont te réduire à néant, mec. Quoi que tu écrives;, les uns vont t'accuser d'idéaliser les républicains parce que tu ne dénonces pas leurs crimes, et les autres, d'être révisionniste  ou de farder le franquisme parce que tu ne présentes pas les franquistes comme des monstres mais comme des personnes ordinaires,  normales. C'est comme ça: la vérité n'intéresse personne, t'as pas encore pigé ça?  page 41
 
"Ecoute, je veux dire que ce ne sont pas les livres qui doivent être au service de l'écrivain, mais que c'est l'écrivain qui doit être au service de ses livres. page 49
 
"Tu te sens coupable d'avoir un oncle facho?"
 Maintenant, c'est moi qui souriais.
- " Un oncle, non, précisai-je. La famille au grand complet.
- Tu parles comme plus ou moins  la moitié de ce pays. Je t'ai dit que mon père avait aussi fait la guerre au côté de Franco....En plus, le mec était super convaincu...Pire, ceux qui ont fait la guerre avec Franco ont dû supporter ça pendant quarante ans. Quoi qu'on dise, ici, sauf quatre ou cinq téméraires, pendant la plus grande partie du franquisme, presque tout le monde  a été franquiste, par action ou par omission. On n'y peut rien. C'est comme ça. page 54
 
S'il est faux que l'avenir modifie le passé, ce qui est vrai, c'est qu'il modifie la perception que l'on a du passé ou du sens que l'on lui donne. page 63
 
Il est possible qu'après l'instauration de la Seconde République, la majorité d'Ibahernando devint républicain par inertie ou par imitation ou par contagion de la fièvre de changement qui enflammait le pays; si ce fut le cas, bien vite cet élan hétéronome devint autonome, de sorte que cette fièvre inaugurale affecta tout le village ou presque: les paysans avec terre comme les paysans sans terre embrassèrent  avec enthousiasme les idées républicaines et socialistes....Cette effervescence n'était pas uniquement politique  et syndicale, mais aussi sociale et religieuse. Au début du XXè siècle, un groupe de protestant conduit par le fils d'un pasteur d'origine allemande s'installa  dans le village , et en 1914, fonda une église. Ce fut le début d'un changement profond. Comme c'était le cas dans le reste du pays, à Ibahernando, l'église catholique se vautrait  depuis des siècles dans un despotisme abruti et monopoliste, moins soucieuse du bien-être de ses paroissiens que de la préservation de son pouvoir et de ses privilèges, et les protestants récemment arrivés, bravèrent cette négligence impitoyable en s'occupant des plus pauvres et des plus nécessiteux, leur apprenant à lire et  à écrire, les protégeant même économiquement. page 65
 
A l 'automne 1933, ....la Seconde République entrait dans une crise  qui, deux ans et demi plus tard, déboucherait sur une guerre, ou plutôt un coup d'état militaire dont l'échec déboucha sur une guerre qui finit par emporter la Seconde République . page 72
Le 19 du même mois (novembre 1933) eurent lieu les secondes élections générales de la république, que la droite emporta. C'était alors une droite qui croyait à peine à la République et ne croyait presque plus à la démocratie. et qui, dès son arrivée au pouvoir, consacra la plupart de ses efforts à démonter les réformes amorcées par le nouveau régime, et en même temps que de ses entrailles naissaient des organisations qui imitaient  le fascisme victorieux en Europe; la plus importante fut la Phalange espagnole....qui allait devenir la milice armée....page 74
 
Nul doute que, pendant la guerre ou pendant la plus grande partie de la guerre, Manuel Mena fût un phalangiste convaincu. - un phalangiste bien plus phalangiste que franquiste...page 82
La Phalange était un parti  qui, avec sa vocation antisystème, son prestige exaltant de nouveauté absolue, son irrésistible aura de semi clandestinité, son refus de distinction traditionnelle entre droite et gauche, sa proposition d'une synthèse qui dépasserait les deux,  son impeccable chaos idéologique....semblait être fait pour séduire un étudiant fraîchement sorti de son village...page 83
 
Le 19 janvier 1936, au théâtre Norba,...il (Manuel Mena) put voir le jeune chef de la Phalange à une foule de camarades venue de toute l'Estrémadure, dans sa chemise bleue réglementaire et interrompu par le grondement réitéré de leurs ovations et parler en ces termes: "le grand devoir de cette génération consiste à démanteler le système capitaliste dont les dernières conséquences néfastes sont l'accumulation du capital par les grandes entreprises et la prolétarisation des masses". page 84
 
(L'auteur est dans le village de Manuel Mena et questionne un ancien, le Tondeur, qui l'a connu)
"Ici, au début de la guerre, ils ont tué quelques-uns. Un instituteur qui s'appelait don Miguel....un homme bien. Ils ont aussi tué sa fille Sara. elle s'appelait. Sara Garcia. Elle avait un fiancé dans la zone rouge. On dit que c'est pour ça qu'ils l'ont tuée. ...Cette nuit-là, ils ont tué quelques-uns. "
Sur ce, le Tondeur raconte l'événement qui a bouleversé sa vie à jamais. Il a le regard perdu, s'exprime avec peu de mots qui semblent davantage des objets que des mots, et une froideur qui donne la chair de poule....Il se souvenait seulement qu'on avait frappé à la porte et que son père lui avait demandé d'aller ouvrir. La guerre venait d'éclater...Il a obéi, il s'est levé de table, il a ouvert la porte. Sur le seuil,....se tenaient  plusieurs hommes...Il n'en connaissait aucun. Les hommes lui demandèrent si son père était à la maison, il dit que oui et ils entrèrent et firent sortir son père....Il avait dix-huit ans, un an de plus que Manuel Mena. Il ne revit plus son père vivant. pages 94, 95
 
Le 20 juillet 1936, trois jours après que les troupes de Franco se furent soulevées dans leurs garnisons africaines contre le gouvernement légitime de la République, et que, presque simultanément les insurgés prirent le pouvoir à Caceres et  déclaré l'état de guerre dans toute la province, la droite d'Ibahernando se joignait à la rébellion, et s'emparait du pouvoir sans rencontrer la moindre résistance. Nous connaissons bien ce qui s'ensuivit en Espagne, une fois que la guerre fut déclenchée.page 100
Dans les jours qui suivirent le coup d'Etat, un ouragan de panique et de violence se déchaîna  dans toute l'Espagne. page 102
Il est impossible d'exempter la famille de Javier Cercas de toutes responsabilités concernant les atrocités commises ces jours-là: premièrement, parce que c'était elle qui détenait le pouvoir au village...deuxièmement , parce qu'à plusieurs reprises, ils protégèrent  des partisans de la gauche de cette vague de violence  incontrôlée ou ils les aidèrent à quitter le village où leur vie était en danger....page 103
Entre fin juillet et début août, soutenu par l'aviation de Hitler, Franco avait réussi  à faire débarquer dans le Sud le gros des troupes marocaines...page 104
 
Quelqu'un lui demanda (au grand-père de Javier)   son opinion sur ce qui se passait en Espagne.  Mon grand-père fit alors une grimace que je ne réussis pas à déchiffrer. page 115
Cercas ne savait pas  qu'après en être revenu,  son grand-père interdit à ses enfants d'adhérer à la Phalange ou d'avoir quoi que ce soit avec elle, même si elle était le premier  instrument de  socialisation des jeunes pendant la dictature. page 119

Manuel mena partit enfin pour le front un jour à l'aube, au début octobre 1936, plus de trois mois après le déclenchement de la guerre. Je ne sais pas si quelqu'un le vit sortir du village, je ne sais pas s'il était seul ou si quelqu'un l'accompagnait. Page 121

(Javier Cercas et son ami David parlent de l'entretien qu'ils ont eu avec le Tondeur.)
"Il n'arrêtait pas de balancer la béquille à droite et à gauche."
- Tu m'étonnes dit David. Ton père meurt comme un chien,  tu ne sais pas qui l'a tué ni pourquoi, tu es obligé de l'enterrer en cachette et sans que personne dise une misérable prière. Quelle Horreur! En revanche, Manuel Mena, lui, il est parti à la guerre parce qu'il le voulait, il est mort en se battant comme un homme et tout le village a assisté à son enterrement. A Ibahernando, Manuel Mena  était un héros et le père du Tondeur n'était personne, un rouge qui n'a eu que ce qu'il  méritait. Pauvre Tondeur! presque quatre-vingts ans à taire cette histoire, à la garder pour lui. Je ne sais pas toi, mais moi, j'avais l'impression  d'être en face d'un homme qui a été malade toute sa vie et qui l'ignore. page 132

Peut-on être un jeune homme noble et pur et en même temps, lutter pour une mauvaise cause? page 141

"L'histoire est écrite par les vainqueurs" dit-elle et ensuite, "les peuples tissent les légendes. Les littérateurs fabulent. Seule la mort est indéniable" Page 145
 
Manuel Mena intégra son premier poste de sous-lieutenant le 25 septembre 1937, et jusqu'au jour de sa mort, douze mois plus tard, il vécut avec une intensité saisissante, accumulant ces expériences extrêmes  qui, comme le clamaient publiquement certains rescapés de guerre, permettent d'apprendre la  chose suivante: tous les hommes peuvent être bien pires que ceux qu'imaginent ceux qui n'ont jamais pris part à un conflit. page 148
 
La première chose que je crus comprendre au cours de ces journées est donc la suivante: à la fin de sa vie, Manuel Mena était un étranger dans son propre village. La seconde est que, la guerre étant un condensé d'expériences en accéléré, Manuel Mena, qui était passé par là, avait en dix-neuf ans de vie, acquis autant d'ancienneté qu'un homme ordinaire en cinquante ans et que pendant ses premières visites au village, quand il revenait du front, son regard était peut-être à la fois, celui d'un ancien et celui d'un jeune, celui d'un étranger et celui d'un autochtone, et que son regard d'alors, ne devait pas être différent de celui du mien à présent. page 175
 
....Le problème: le village s'est scindé en deux et la cohabitation est devenue très difficile, dit Alejandro. Tu sais, Javier, ce qui m'énerve le plus, c'est les interprétations équidistantes de la guerre, celles à cinquante-cinquante, qui disent que ça été une tragédie et que les deux camps avaient raison. Faux: ce qui s'est passé, c'était un coup d'Etat militaire contre une démocratie, soutenue par l'oligarchie de l'Eglise. D'accord, cette démocratie était tout sauf  parfaite, et vers la fin, très peu de gens  y croyaient et respectaient ses règles mais ça restait une démocratie; la raison politique était donc du côté des Républicains. Point barre. Et ce qui m'énerve aussi, c'est l'interprétation sectaire ou religieuse  de la guerre selon laquelle la République était un paradis sur terre et tous les républicains des anges qui n'ont tué personne et que tous les franquistes étaient des monstres  qui assassinaient à tour de bras: faux , encore un fois.....Mon grand-père et ton grand-père s'ils sont allés à la guerre, ce n'est pas par passion politique,, ou parce qu'ils voulaient changer le monde, ou faire la révolution national-syndicaliste; tu dois comprendre Javier. Ils sont partis à la guerre parce qu'ils ont senti que c'était leur devoir, parce que, pour eux, c'était la seule issue. page 198

..pendant la guerre, notre famille s'est trompée de camp, répondis-je (Javier)  Non seulement parce que la république avait raison, mais parce qu'elle était la seule  à pouvoir défendre ses intérêts. (ceux de la famille) je ne dis pas  que c'était facile de faire le bon choix  dans de telles circonstances et je ne vais pas avoir la désinvolture ou l'impertinence de les juger maintenant, quatre-vingts ans après avec l'état d'esprit et le confort qui sont les nôtres aujourd'hui et alors que nous avons le désastre  qui s'est ensuivi.
Je me souvins de  David  Treba et j'ajoutai:
-  Ils n'étaient pas omniscients. Ils  ne savaient pas tout. Ils ne pouvaient pas le savoir. Mais ils se sont trompés. Aucun doute là-dessus. Ils se sont leurrés ou se sont laissé leurrer: leur camp aurait dû être  celui de la République. page 204
 
Avant la guerre , il y avait plein de gens ici, il y avait de la vie, le village avait un avenir ou pouvait en  avoir un. Maintenant, il n'y a plus rien. Le franquisme a transformé Ibahernando en un désert, il a fait fuir les pauvres comme les riches, ceux qui mangeaient comme ceux qui ne mangeaient pas. Tous. page 205
...Je pensai....."Non seulement, il (Manuel Mena )  est mort pour une mauvaise cause, mais en plus , il est mort en se battant pour des intérêts qui n'étaient pas les siens. Ni les siens,  ni ceux de sa famille". Je pensais ," il est mort pour rien." page 206
 
Je demandai à mon oncle si Manuel Mena parlait de la guerre quand il revenait à Ibahernando en permission. Il me dit que non, "jamais" ajouta-t-il. page 238
 
Manuel Mena et son frère Antonio s'étaient empêtrés dans une discussion sur un sujet banal et le ton était monté peu à peu, et l'on avait changé de sujet....3Ecoute, Antonio, dit Manuel Mena , cette guerre n'est pas ce qu'on croyait au début . Manuel Mena dit que cette guerre n'allait pas être facile, qu'elle n'allait pas se faire  sans efforts, ni sacrifice,  ....Il dit qu'elle sera dure et longue. IL dit que beaucoup de monde allait mourir tant quelle durerait. Il dit que beaucoup de monde était mort mais qu'il en mourrait davantage . Et il dit qu'il avait suffisamment donné. A lui-même, à sa famille, à tous.  C'est fini, dit-il, j'en ai assez insista-t-il. Si c'était à moi de décider, je ne retournerais plus au front, dit-il finalement. page 245
Je compris . Je compris que Manuel Mena n'avait pas toujours été un jeune idéaliste, un intellectuel de province ébloui par l'éclat romantique et totalitaire de la Phalange et qu'à un moment donné de la guerre, il avait  cessé de concevoir celle-ci comme les jeunes idéalistes la concevaient depuis toujours...Page 247
 
La famille essaya d'oublier. Manuel Mena  incarna certes le paradigme du héros franquiste, mais s a mort au combat  reçut peu d'échos en dehors du village. page 272
 
Je pensai : "L'oncle Manuel n'est pas mort pour la patrie, maman. Il n'est pas mort pour te défendre toi et ta grand-mère Carolina et  ta famille. Il est mort pour rien, parce qu'on l'a trompé en lui faisant croire qu'il défendait ses intérêts alors qu'en réalité, il défendait les intérêts des autres, et qu'il mettait sa vie en péril pour les siens alors qu'en réalité il le faisait pour les autres. Il est mort à cause  d'une bande de salopards qui empoisonnaient le cerveau des jeunes et les envoyait à l'abattoir. Les derniers jours ou les derniers mois de sa vie, il s'en est douté ou il l'a entrevu, mais c'était déjà trop tard, et c'est pourquoi il ne voulait plus faire la guerre. page 300
 
...venait de découvrir le secret le plus élémentaire et le plus caché, le plus refoulé et le plus visible, qui est qu'on ne meurt pas, que Manuel Mena n'était pas mort, que mon père n'était pas mort, je le pensais soudain ou plutôt, je le sus, que ni ma femme ni mon fils ni mon neveu Nestor ne mourraient, ni moi non plus, et je pensai avec un frisson vertigineux que personne ne meurt, je pensai que nous sommes faits de la matière et que la matière ne se détruit, ni ne se crée, elle se transforme  seulement et que nous ne disparaissons pas, nous nous transformons en nos descendants comme nos ancêtres se transformèrent en nous, je pensais que nos ancêtres vivent en nous comme nous vivrons en nos descendants; ils ne vivent pas métaphoriquement dans notre mémoire volatile, me dis-je, ils vivent physiquement  dans notre chair et notre sang et nos os, nous héritons de leurs molécules et avec leurs molécules, nous héritons de ce qu'ils furent, que cela nous plaise ou non.....Nous sommes nos ancêtres comme nous serons  nos descendants...Page 313
 
 
 
 

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