mardi, février 05, 2019

HISTOIRE DE MA VIE (Lao She)

Avec une simplicité poignante traversée d'humour, un vieux Chinois raconte sa vie: abandonné par sa femme qui lui laisse deux enfants, il a dû quitter son échoppe d'artisan pour s'engager dans la police où il est resté vingt ans avant d'être renvoyé. Il a assisté à la fin de l'Empire, au soulèvement es soldats, au changement de régime et aux premières années de la République.
Les rues de Pékin prennent vie, toute une foule d'artisans,  de commerçants, de policiers et de soldats s'anime dans les derniers feux d'un monde qui va disparaître
 
Lorsque à la fin de l'apprentissage, je suis    devenu compagnon, j'ai fait comme les autres artisans: pour bien montrer que, désormais,  je gagnais moi-même ma vie, j'ai commencé par acheter une pipe.  Dès que j'avais un instant à moi, je la sortais et tirais dessus bruyamment comme pour me donner encore plus d'importance. Petit à petit, jr me suis mis aussi à boire , à siroter fréquemment un petit verre de gnôle en faisant claquer la langue. le problème, c'est qu'une mauvaise habitude  en entraîne toujours une autre. On croit toujours qu'il ne s'agit que d'un passe-temps, et puis, on ne peut plus s'arrêter. page 17
 
A défaut  de m'avoir apporté la fortune, ou un poste officiel, le métier de colleur m'avait fait connaître une vie pleine d'intérêt: pauvre mais  animée et ne manquant pas de saveur humaine.
La vingtaine passée, j'avais acquis la considération de mes proches et de mes amis. Une considération qui n'était pas due à ma richesse ou à ma position, mais simplement au fait que je faisais soigneusement les choses et que je ne renâclais pas à la besogne.  page 20
 
J'ai eu toute ma vie l'impression de descendre un chemin en pente, sans jamais pouvoir m'arrêter: plus mon cœur aspirait à la paix et à la tranquillité, plus je sentais que je m'enfonçais. page 22
 
Je me suis ainsi marié l'année même de mes vingt ans, et  ma femme  avait un an de moins que moi.  Belle ou pas,  tout le monde la trouvais mignonne et vive.  page 25
 
A force de réfléchir, je m'étais rendu compte que la superstition, c'est bon seulement quand on espère obtenir un bienfait inattendu; quand c'est au contraire un malheur tout à fait imprévu qui vous arrive, on n'a plus d'espoir et on croit naturellement plus à rien. page 35
 
A cette époque où les journaux n'étaient pas très répandus,  les yeux des gens étaient plus  à craindre que les échos de la presse. page 37

Je devins alors agent de police.
Pour les pauvres des grandes villes, la police et le pousse-pousse sont deux voies toutes tracées. Quand  on ne sait pas lire le moindre caractère et qu'on n'a pas appris un métier, la seule solution estde tirer un pousse-pousse...mais pour quelqu'un qui connaît quelques caractères et tient à sa réputation,..La solution est de s'engager dans la police. Le premier avantage est qu'on n'a pas besoin tellement de piston pour être pris, le second,  c'est que, dès  qu'on est engagé, on a droit à une tenue complète et  à six yuans d'avance.  page 39
 
Après ces troubles dans l'armée, ce fut à nouveau un grand chambardement; l'Empire des Qing fit place à la République de Chine. des changements de dynastie ou de régime, on n'en rencontrait as souvent, mais personnellement je trouvais que ça n'avait aucun intérêt. ...J'étais toujours agent de police , mon salaire n'avait pas augmenté et le travail qu'on nous demandait était aussi routinier. Après comme avant, j'étais victime des mêmes humiliations. avant, les serviteurs de ces messieurs les grands mandarins nous traitaient plus bas que terre. après les hommes à la solde des nouveaux mandarins furent aussi désagréables avec nous. On continua donc  de "se foutre du monde": le passage d'un régime à l'autre au fond ne changea rien. page 75
 
Dans les journaux et dans les discours publics, on exalte souvent la liberté; or, quand on exalte une chose, c'est évidemment qu'elle n'existe pas en réalité. ainsi, moi, la liberté je ne savais pas ce que c'était: les gens avaient beau en parler à maintes reprises, personnellement, je ne l'avais jamais vu venir; mais dans les résidences, j'ai vu au moins ce que c'était au fond, la République a un avantage, c'est que, même si on ne jouit pas soi-même de la liberté, rien que de l'apercevoir vous ouvre les yeux page 82
 
Un mandarin pouvait profiter de tas d'avantages , sans avoir rien à payer, mais un simple agent de police n'avait même pas un endroit où faire faire des études gratuites à ses enfants. A l'école privée, il y avait les frais de scolarité, les cadeaux pour les fêtes, les livres, l'encre et le pinceau, et tout ça, il fallait le payer. A l'école moderne, il y avait l'uniforme, les fournitures pour le travail manuel, toutes sortes de cahiers, et l'ensemble revenait plus cher qu'à l'école ancienne formule. page 88
 
Dans ma vie, je n'ai jamais connu de véritable satisfaction. page 94
 
Ces années passées au commissariat ont néanmoins eu un avantage: j'étais bien tranquille. page 96
L'année de mes quarante ans, la fortune finit tout de même par me sourire: je fus nommé inspecteur! page 98
En dehors de mon travail de bureau , je me faisais  aussi du souci pour mes enfants. le garçon avait déjà vingt ans et la fille dix-huit. page 100
 
La vie des gens pauvres, contrairement à ce qu'imaginent les professionnels de la charité publique, ce n'est pas avec quelques bols de bouillon de riz qu'on peut la sauver : ça ne fait que prolonger de quelques jours leur misérable existence et, tôt ou tard, ils devront mourir. Avec le passé que j'ai, c'est un peu pareil: ça m'aide à trouver un petit boulot et à endurer un peu plus longtemps ma misère..page 108
 
Je reçus alors une lettre m'annonçant la naissance d'un petit-fils....Les enfants des riches apportent avec eux l'espoir, ceux des pauvres, la gêne. page 113
 
A cinquante ans passés, travaille toujours autant qu'un jeune gras de vingt ans, et pourtant, je n'ai jamais dans mon ventre qu'un peu de soupe et de wowotou, en hiver, je n 'ai même pas une bonne veste doublée de coton à me mettre sur le dos, mais je ne veux pas qu'on me fasse la charité, je veux gagner ma croûte  moi-même:  j'ai bossé fièrement toute ma vie et je le frai jusqu'à ma mort. ...Souvent, je vois des ténèbres devant moi et j'ai l'impression de toucher déjà la mort.  page 115
 
 

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