Erling Kagge, aventurier des temps modernes, choisit de prendre le temps dans une société où tout doit aller vite. Dans Pas à Pas, il défend "un art de vivre" mettant la marche au cœur de notre existence, comme principe fondateur de l'homme et discipline philosophique à part entière.
Je peux me tromper mais quand j'observe un enfant apprendre à marcher, cela me confirme dans l'idée que le plaisir de la découverte et de la maîtrise est la chose la plus intense au monde. Mettre un pied devant l'autre, explorer et transgresser sont des attributs intrinsèques à notre nature. Les voyages d'exploration ne sont pas quelque chose que l'on commence à faire, mais quelque chose que l'on cesse progressivement de faire. page 15
Les langues créées par les hommes reflètent l'idée que la vie est une longue et unique marche. En sanskrit, une langue originaire de l'Inde parmi les plus anciennes au monde, le passé se dit "gata ", ce que nous avons marché" et le futur "anagata, " ce que nous n'avons pas encore marché." page 18
Je ne saurais dire combien de marches j'ai faites.
J'ai fait de courtes balades et j'en ai fait de longues. J'ai marché en m'éloignant des villages et j'ai marché pour rejoindre des villes. J'ai marché la nuit, j'ai marché le jour, en quittant des amantes ou pour retrouver des amis. J'ai marché à travers la forêt et à travers la montagne, sur des plateaux couverts de neige et au cœur des jungles urbaines. J'ai marché en étant désoeuvré, j'ai marché en étant euphorique et j'ai marché pour fuir mes problèmes. J'ai marché dans la douleur et j'ai marché dans le bonheur. Mais peu importe où et pourquoi j'ai marché et marché et marché. J'ai marché jusqu'au bout du monde, littéralement.
Aucune balade ne ressemble à une autre, mais quand je regarde en arrière, je distingue un dénominateur commun: un silence intérieur . La marche et le silence vont de pair. Le silence est aussi abstrait que la marche est concrète. pages 19, 20
Pourquoi marchons-nous? En partant d'où et pour aller où?
Je crois que nous avons tous nos propres réponses. Même si nous marchons côte à côte, nous vivons notre marche différemment. page 21
Marcher donne un sentiment de liberté. C'est le contraire de "plus vite, plus haut, plus fort". Tout est plus lent quand je marche, le monde paraît plus doux et, pendant un bref instant, je ne m'active plus à mes tâches quotidiennes que sont le ménage, les réunions ou la lecture de manuscrits. Un homme libre possède le temps. page 25....
Quand je suis pressé, je ne prête pas attention à grand chose. page 26
...La vie dure plus longtemps quand on marche. Marcher démultiplie le temps. page 27
Parfois, marcher signifie entreprendre un petit voyage d'exploration intérieure, puisque les bâtiments, les visages, les signes, le temps qu'il fait et l'atmosphère de la rue nous façonnent... Marcher est un mélange de mouvement, d'humilité, d'équilibre, de curiosité, d'odeurs, de sons, de lumière et - si vous allez suffisamment loin - de nostalgie. Le sentiment d'être à la recherche de quelque chose d'introuvable. page 41
Les pensées qui me traversent l'esprit ou les tensions que je ressens dans mon corps, se transforment et s'allègent pendant que je marche. page 42
Les jours où j'ai assez d 'énergie, je m'amuse à imaginer les pensées des gens que je vois et la journée qui les attend. ...Les vêtements en disent parfois long page 44
"Il y a un lien entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli" écrit Mila Kundera dans son roman La Lenteur. je me reconnais tout à fait dans cette citation.
Kundera écrit un homme qui marche dans la rue et qui veut retrouver un souvenir qui lui échappe. A ce moment, machinalement, il ralentit son pas. Un autre homme, qui essaie d'oublier un incident pénible qu'il vient de vivre, fait exactement le contraire et "accélère à son insu l'allure de sa marche comme s'il voulait vite s'éloigner de ce qui se trouve, dans le temps, encore trop proche de lui". (Kundera) page 48
"Le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli. "...L'allure que nous choisissons peut déterminer la façon dont nous pensons en marchant. ...Quand je marche vite, j'ai l'impression de mettre un certain nombre d'émotions à distance, mais quand je ralentis, celles-ci reviennent. page 49
Une promenade "me réconforte, me ravit, me requinque" page 50
Le grand plaisir de marcher en ville, c'est d'être au milieu des gens. A pied, le fossé diminue entre ce que vous voyez et ce que vous faites. Le temps d'une promenade, vous êtes ce que les sociologues appellent un participant, et non pas un observateur. page 56
Vos pieds sont vos meilleurs amis. Ils disent qui vous êtes.
Les pieds entretiennent un dialogue avec vos yeux, votre nez, vos bras, votre torse et vos émotions. Ce dialogue prend souvent notre conscience de vitesse. Nos pieds nous aident à avancer avec précaution. Ils déchiffrent le terrain et tout ce qui rentre en contact avec la voûte plantaire....page 70
Votre façon de marcher révèle aussi comment vous vivez. page 74
Quand je me sens reposé ou heureux, mon corps se redresse et mes pas deviennent plus élastiques. c'est presque comme si j'étais déchargé d'un lourd fardeau...Quand je me sens fatigué, ou que je n'ai pas le moral, je marche penché en avant , d'un pas lourd. page 76
La démarche d'un personne nous en dit davantage que son visage.
Quand je croise un inconnu dans la rue, j'aperçois à peine son visage, en revanche, si nous allons dans la même direction, j'ai le temps d'observer un peu plus la manière qu'à cette personne de marcher, de mettre un pied devant l'autre. Page 79
(Merleau-Ponty en 1942): il faut penser avec tout son être. A la fois, avec sa tête et le corps. page 87
"La marche est le meilleur remède pour l'homme"(Hippocrate). Je crois que marcher a joué un rôle beaucoup plus important dans la santé publique que tous les médicaments intégrés au cours des siècles. page 100
Aujourd'hui, des recherches à travers le monde entier portent sur l'influence de la marche sur notre créativité, notre humeur et notre santé. page 103
Il est plus simple pour un gouvernement et les sociétés de nous contrôler tant que nous sommes assis.
Marcher peut transformer tout un pays. Quand on relit l'histoire de France, on a l'impression que toutes les révoltes ont commencé par une marche de manifestants à travers une ville....Gandhi....le peuple l'a rejoint dans sa marche et c'est devenu un mouvement de masse. En 1930, la "marche du sel" , une marche de près de quatre cents kilomètres avec Gandhi à sa tête, a forcé l'Empire britannique à renoncer à son monopole sur le sel en Inde. page 107
Une démocratie repose sur la nécessité de se regarder les uns les autres de près. Qu'il n'y ait pas nous d'un côté et eux de l'autre. Pour ceux qui occupent des postes importants, la chose est compliquée. Une belle voiture noire les attend...page 108
Marcher uniquement par beau temps - rester à l'intérieur qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il neige - revient à laisser de côté la moitié de cette expérience. Voire, la meilleure ^partie. page 113
...J'ai la conviction que les meilleures choses sont gratuites. page 124
Je marche pour fuir mes problèmes. Pas tous, mais le plus grand nombre possible. ne le faisons-nous pas tous? Certains de mes problèmes s'évanouissent pour de bon quand je marche. Ils peuvent disparaître en une heure ou en quelques jours...Quelque chose que je considère comme un problème et qui m'inquiète se révèle moins terrible et pas si gênant que ça, avec un peu de recul. Page 127
"Surtout, ne perdez pas l'envie de marcher: chaque jour, je marche, assurant ainsi mon bien-être et éloignant toute maladie, continua - t - il (Kiekegaard) dans la même lettre et je sens qu'aucune pensée n'est trop lourde qu'on ne puisse s'en échapper en marchant" page 135
C'est marcher qui m'est naturel quand je veux me livrer à une séance d'introspection. je n'ai pas besoin qu'on me l'apprenne, c'est ce que j'ai toujours fait. page 138
Plus je marche longtemps, moins je fais la différence entre mon corps, mon esprit et le paysage qui m'entoure. Le monde extérieur et le monde intérieur se superposent. Je ne suis plus un simple observateur regardant la nature, l'intégralité de mon corps est impliquée. page 155
Un je marche pratique précède un je pense cartésien. page 156
Marcher - mettre un pied devant l'autre - , c'est se voir soi-même, aimer la terre et laisser son corps voyager au même rythme que son âme. page 165
En sanskrit, marcher n'est pas seulement une métaphore pour le temps, mais aussi pour le savoir. - ou gati....Tout mot signifiant "marcher" signifie aussi "savoir" page 178
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