samedi, juin 15, 2019

LE PETIT ROI ( Mathieu Belezi)

Mathieu ;douze ans, délaissé par les siens, se trouve confié aux soins d'un grand-père peu causant qui habite seul une ferme d'un autre âge, dans un coin désolé  de Haute-Provence.
Apprentissage de la solitude, du silence, de la  cruauté - et des violents émois de la chair. L'on dira de Mathieu qu'il est un enfant "difficile". a condition d'ajouter qu'on a oublié de lui faciliter la tâche: ce fameux métier de vivre auquel l'enfance se prépare comme elle peut - au besoin en s'écorchant méchamment la peau.
on songe en  lisant ce récit où la souffrance s'avoue entre les lignes, à  L'Année de l'éveil de  Charles Juliet - autre écrivains ami de la nudité des sentiments - aux films de Jean Eustache ( Mes petites amoureuses)
 
La saillie de ce vieux visage, qui n'a jamais été jeune et dans mes convictions enfantines doit survivre cent ans, la tendresse de ces yeux lavés, de ces mains qui tremblent;, comblent jour après jour, le vide laissé par ceux qui m'oublient. page 25
 
La veille de Noël, le facteur apporta une lettre qui m'est adressée. Sur l'enveloppe, au-dessus de mon nom écrit à l'encre bleue, trois timbres sont collés.
Je suis seul dans la cuisine, mon grand-père donne à manger aux poules. Je pourrais prendre un couteau, introduire la pointe sous le rabat de l'enveloppe, l'ouvrit pour en retirer l'une de ces impossibles cartes que m'envoie ma mère à chacun de ses voyages. je préfère la jeter au feu. ....Je ne veux pas qu'elle me souhaite un joyeux Noël. page 27
 
(Après la messe de minuit, retour à la ferme)  La chaleur des flammes me saute au visage. Je ferme les yeux.; les rouvre. Devant la cheminée, il y a mon cadeau de Noël: un vélo demi-course bleu et blanc. je grimpe dessus, me tiens à la table, tente de me voir dans les vitres du buffet. Est-ce que j'ai l'air d'un coureur?
Je veux sortir, faire le tour de la cour. Mon grand-père ouvre la porte. Dans la nuit blanche, je pédale jusqu'au tilleul; fais le tour du lavoir, reviens en zigzaguant. j'essaye les vitesses, ferraille avec le levier.
La cuisine demeurée ouverte  jette un rectangle de lumière vive dans lequel  est planté mon grand-père. Il se gratte la tête, heureux sans doute de voir à mon front l'exact bonheur dont il avait rêvé. je n'ai jamais su où il trouvait l'argent nécessaire à cet achat. IL était pauvre, ne bénéficiant que d'une maigre pension, versée  tous les trois mois et que lui apportait le facteur sous la forme d'un mandat...
- C'est mon Noël le plus beau , Papé. Merci.
Je lui tire les oreilles et les rares cheveux qui frisent à ses tempes. Il me chatouille sous les bras.
- Merci pour la messe. Et merci pour le vélo. pages 31, 33
Je ravale mes larmes de sel qui viennent on ne sait d'où..;...Je voudrais que mes parents soient morts. page 36

Accroupi, le menton entre les genoux, j'écoute chanter l'eau, ronde sur les galets, lisse comme le dos d'une lame dans les bras morts du ruisseau où vivent les sangsues et les têtards. L'eau  est lourde la fonte des neiges, à sa surface, elle charrie les restes de l'hiver. page 44

En demeurant un moment sous le préau, je m'aperçois que le printemps est entré au collège, qu'il verdit le bas des lilas du réfectoire et le faîte des platanes, donne de l'insouciance aux hirondelles qui nichent près du toit. page 49
 
A Pâques, ma mère nous rend visite sans s'annoncer. Elle sourit en descendant d'une petite   voiture  bleue.  Elle a des boites de chocolat et des livres plein les bras.
Je ne peux croire que c'est ma mère. Ses lèvres sont aussi violemment rouges que les fleurs de notre rosier.....
Dans ses yeux de mère, je ne suis pas à l'aise, il y a si peu de place pour moi. page 51
 
- Papé , Est-ce que tu m'aimes?
Il s'arrête, s'appuie sur le manche de la pelle.
- Qu'Est-ce que tu me dis?
- Je te demande si tu m'aimes vraiment.
Ses yeux se posent sur moi et ne me quittent plus. D'où je suis, je le vois plus grand qu'il n'est, presque un géant contre le ciel qui s'éteint.
- Alors?
- Bien sur que je t'aime vraiment.
- Plus que les salades ou que Marguerite?
 - ça ne se compare pas. Tu es mon fils, la chair de ma chair.
- Mais tu n'es pas mon père.
- Non, je ne suis pas ton père. Mais, c'est pareil, tu comprends? C'est presque pareil.
Il ne reprend pas son travail. Il m'observe....
Je préfère qu'il ne parle pas, je comprends mieux ce qu'il veut dire. A mon âge, je suis déjà saoulé de la parole adulte. page 82
 
(Un copain de classe est décédé dans un accident de voiture)
Moi aussi, je voudrais mourir.
Echapper à ce que j'ai vécu, tourner le dos à ce que la vie me réserve. page 107
 
(Le grand-père est mort).
Derrière la camionnette qui sert de corbillard, je marche jusqu'au cimetière, suivi par vingt personnes qui font office de famille, plaignant ma condition avec des mines longues de dix pieds, louvoient entre les larmes et le réconfort du sourire, jouent les oncles, les tantes, les cousins, les pères, alors qu'ils ne sont rien et que je ne les aimerai jamais. Je marche les bras croisés sur la poitrine, d'un œil surveille la caisse où est le mort, de l'autre, constate que les lacets de mes souliers se défont.
Il y a ce trou où descendent deux hommes qui  descendent le cercueil , cette couronne mortuaire, la poignée de terre qu'on m'oblige à jeter.
Que pourrais-je faire d'autre?  page 124

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