lundi, juin 17, 2019

L'INDESIRABLE (Louis Guilloux) 2019

"1917: la guerre s'éternise dans la boue des tranchées. A Belzec, une ville de l'arrière, les autorités ont établi un camp de concentration où sont parqués les étrangers indésirables. Un professeur d'allemand, M. Lanzer, y sert d'interprète, s'attirant, par sa tolérance, la sympathie des prisonniers. Lui et sa famille ont d'ailleurs secouru une vieille Alsacienne, échouée là par hasard. En retour, elle leur lègue, peu avant sa mort, ses maigres économies et quelques bijoux en sa possession.
 
Une rumeur , orchestrée par un collègue de Lanzer, accuse à tort le professeur d'avoir profité des largesses de la "boche". Quand le fils du principal, revenu blessé du front, découvre la mise au ban de son ami, il prend sa défense, au risque de devenir le nouvel indésirable....
 
Ecrit en 1923, et resté inédit à ce jour, ce roman de jeunesse de Louis Guilloux brosse un tableau saisissant d'une humanité en guerre perpétuelle. L'auteur du Sang noir, y révèle déjà un talent remarquable pour dire l'impensé de l'époque: que la barbarie, loin d'être circonscrite aux champs de bataille;, peut surgir en chaque individu."
 
Le "tapuscrit "de l'Indésirable est conservé dans le fonds d'archives littéraires de Louis Guilloux de la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc. Il comporte une page manuscrite de la plume de Louis Guilloux et 96 pages dactylographiées.
 
Dans ce roman, Louis Guilloux affirme sa sympathie à l'égard des indésirables; Cette sympathie pour les marginaux, pour ceux qui n'entrent pas dans le cadre.  page 10
 
M. Lanzer était un homme sans détour; il avait l'âme droite, l'esprit clair et borné; avec cela, un cœur tendre. D'autres , à sa place, n'eussent pas manqué de tracasser les innocents dont il avait la garde, en les harcelant d'interrogatoires, en supprimant leur courrier, en les réduisant à la portion congrue, en les obligeant à des corvées pour telle faute imaginaire ou réelle, comme il était en pouvoir de le faire. Mais, au contraire, son devoir n'était-il pas de soulager l'infortune de ces malheureux?
Les prisonniers savaient le prix de la bonté de Lanzer. page 21
 
Scrupuleux à l'excès, confit en bonne morale bourgeoise, il croyait devoir se réjouir avec les autres, s'affliger avec les autres, mais ne jamais prendre de lui-même une aussi dangereuse initiative, et il se reprochait de petites joies matinales, se disant qu'elles étaient une offense à ceux qui risquaient et répandaient leur vie. page 22
 
Vouloir oublier quelqu'un, c'est y penser , a dit un philosophe. page 35
Le bonheur, même s'il est médiocre, n'est que provisoire et les plus belles amitiés partagent avec les autres le privilège de demeurer à la merci  de la plus futile querelle ou du plus grossier des malentendus.  page 38
 
 
La guerre en province est sourde. C'est une guerre de taupes. Elle est polie.  Les ennemis se rencontrent cent fois par jour, au coin des rues, et chaque fois qu'ils se rencontrent, ils échangent un salut. Ils observent d'autant mieux cette correction, qu'ils appartiennent au même corps, et ont à cœur de n'en  point compromettre le bon renom . page 43
 
La résignation est le plus grand sentiment que la guerre ait appris aux hommes. page 50

(Lanzer joue du piano et sa fille du violon. Depuis le début de la guerre,  ils ne jouent plus) A partir de ce jour, Lanzer et sa fille reprirent la très douce habitude de "faire de la musique", le soir. Seulement, ils ne jouaient plus que des musiques françaises ou italiennes  laissant là Beethoven et Mozart, et Haendel, leurs Dieux...
- C'est bien dommage, disait Lanzer, quelquefois.
Madeleine (la fille) soupirait....
- Après tout , papa, nous pourrions peut-être...fit-elle un soir....
Le visage de Lanzer s'éclaira (il avait compris à demi-mot). Il avait besoin d'être encouragé.
- Cois-tu?
- Ce ne serait pas prudent, fit Mme  Lanzer...
...Ils jouèrent doucement, comme s'ils eussent voulu que cette musique ne fût entendue que d'eux seuls.
Ils ne se doutaient pas que Badoiseau et sa femme qui étaient sortis pour  faire un tour", les écoutaient dans la rue....
"Entends-moi Alice! Entends-moi! C'était de la musique allemande!
Alice sursauta.
- Ah, dit-elle, je l'aurais juré...Boches! Boches! Ce sont des boches!
- Et des voleurs de boche..
- Pour ça oui....Mais tu verras, Marcel, bien mal acquis ne profite pas...Il leur arrivera  malheur. pages63, 64

Inquiet, M. Dupin ( le principal) dit à Badoiseau:
- Mon cher ami, vous savez quels sont nos devoirs. dans les circonstances actuelles, nous devons plus que jamais être unis. Ainsi...
M. Badoiseau interrompit M. Dupin.
- Je vous demande pardon, monsieur le Principal, je sais tous mes devoirs, mais un mot suffira à me justifier: je ne serrerai jamais la main à un boche. page 70
 
Toute la ville prenait parti contre Lanzer. Le collège à son tour imitait la ville. Les professeurs réglaient leur attitude sur celle du principal.
On rencontre en province peu d'hommes libres, mais si l'on en rencontre, on voit qu'ils le sont tout à fait. Mathias était ceux-là. On disait de lui: c'est in original ou un fou. Mais ce fou était sage.
Il vivait depuis longtemps à Belzec, mais sans en être. Et il méprisait les hommes dont il savait les ressources infinies pour faire le mal.  page 75
 
Le jour où Jean-Paul ( le fils du principal) arriva à Belzec compta parmi les plus heureux de sa vie. Il venait de passet trois mois dans un hôpital de l'arrière...page 77
Le repas achevé, Jean-Paul se leva de sa chaise et, prenant son képi qu'il avait déposé sur une chais:
- Tu viens  Jacques ( son frère) Je vais voir Lanzer.
...- Jean-Paul , écoute-moi bien, ne va pas chez les Lanzer. 
..... Enfin moi, je suis bien libre!
- Libre de faire le mal?
- Libre d'aimer mes amis.
- Plus que tes parents?
- Autant que la vérité?
- Et ainsi tu y tiens? Tu veux aller chez les Lanzer? page 84

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