lundi, mai 24, 2021

LA VIE EN RELIEF ( Philippe Delerm) 2021.

 " Je n'ai pas l'impression d'avoir été enfant, adolescent, homme d'âge mûr, puis vieux. Je suis à la fois enfant, adolescent, homme d'âge mûr, et vieux. C'est sans doute un peu idiot. Mais ça change tout. "

Etre riche, à chaque époque de notre existence, de tous les moments qu'on a vécus, qu'on vit qu'on vivra encore: c'est cela la vie ne relief. Voir ses souvenirs et ses sensations non pas additionnés les uns aux autres, mais comme démultipliés , à l'infini. Vivre comme si c'était la première fois. Trouver de la beauté dans l'ordinaire des choses. aimer vieillir, écouter le bruit du temps qui passe. 

Ce livre est  un aboutissement: celui d'une carrière, celui d'une vie d'homme. Certainement un des plus grands livres de Philippe Delerm. 

Mais les paysages que tu as connus 

comme les sensations sont inaltérés

Dans l'air immobile d'un été parfait

Tu avancerais te sentant comblé

Par toutes les saisons qui t'ont précédé

Et celles qui te succéderaient.  (  Dominique A. )

Je ne suis pas de mon temps. Je suis de tout mon   temps.

Il y a plein dans une vie, des lieux et des journées comme ça, des salles d'attente ouvertes au vent, des chambres d'hôtel capitonnées de blafardise et d'ennui, des couloirs de lycée balisés de portemanteaux, des wagons pas chauffés. ....on a beau se diluer, on ne s'efface pas, on se sent responsable, on ne sait pas pourquoi.  page 17

Je n'aurai jamais mon bac. Une fixation mentale, une obsession. Cela peut paraître un peu étrange aujourd'hui, où ce diplôme a tant perdu de son prestige. Le mien, celui de 1969, n'était pas infranchissable. Il y  eut un peu plus de soixante pour cent de reçus. page 18

Quand les beaux jours du printemps 69 sont arrivés, je me rappelle une alchimie précieuse, une espèce d'euphorie mélancolique. je me sentais bien dans mon corps. page 19

C'est bon de précéder le jour, de se sentir en action quand rien  n'a commencé. Jamais le corps n'est plus libre. page 21

( Les personnes âgées) Ils geignent, ils se  retournent et rien n'y fait. Souffrent-ils d'un mal qu'ils dissimulent de leur mieux le jour? Pourquoi sont-ils incroyablement tendus? Il sont fait  leur chemin, accompli un destin - une forme de sérénité devrait leur venir, au bord de tout quitter. ..Elle est belle la crispation extrême des vieillards. Ils vont quitter la vie, tout ce que fut la vie. Et la vie est immense, et ils  s'y noient, et ils ont peur. page 25

Ce qui me donne une sensation de plénitude absolue, c'est l'infini limité.  Un jardin. Un intérieur.   Un jardin.  le dedans dans l'entre deux dehors. Page 29

Les maisons anciennes sécrètent  un pouvoir, on sent qu'elles aiment qu'on installe ainsi des lieux  de vie rituels et changeants, où l'on peut écrire, prendre le goûter, ou se toucher les coudes pour dîner à quatre. page 31

Il y aura çà et là , dans les romans pour la jeunesse, dans quelques films, les éléments d'un univers balançant  entre le désir d'imposer la féerie et l'installation d'un décorum opulent ou pauvret, mais toujours factice.  page 51

Je le ( Paris)  lis chaque jour, oui, vraiment chaque jour. Il agrandit ma vie, la multiplie un peu comme ces lunettes en plastique, un oeil rouge, un oeil vert. je deviens lui, je deviens l'autre, et je reste tout à fait moi. Rien ne vaut ça. page 64

( L'auteur écrit) ..Mon rêve s'inscrivait dans une autre dimension: rencontrer par ce qu'on a écrit quelqu'un qu'on n 'aurait pas rencontré autrement. page 66....Avoir comme but  ultime de mettre le meilleur de soi  dans ces petits parallélépipèdes rectangles que l'on appelle livres, ne témoigne guère de cet accord avec la vie que l'on a souvent prêté.  page 67

Vivre par les toutes petites choses. Des  sensations infimes,  des phrases du quotidien, des gestes, des bruits, des odeurs, des atmosphères. Ecrire tout cela. Car écrire, c'est vivre, c'est la vie en relief, une opération qui s'est imposée lentement.  Transformer en sujet ce qui n'en est pas un, la perspective est délicieuse.  Elle donne le sentiment  que l'existence   est inépuisable, qu'il y aura toujours un angle différent à trouver......Page 72

Les toutes petites choses sont moins  infimes qu'infinies . Elles dorment d'un sommeil si trompeur. Les éveiller , ce n'est pas se refermer, clore en soi les refuges. Les toutes petites choses sont la vraie aventure. Les toutes petites choses sont la vraie aventure, elles nous contiennent et nous inventent.. Elles nous augmente et nous invente...page 75

Le passé n'est pas un monde perdu. Le vivre dans le présent n'est pas de la nostalgie. Ce qui est passé est possédé définitivement. je dis: " ma vie est belle, parce que j'ai la chance de sentir le passé dans le présent. page 76

En admettant que j'ai perdu quelque chose, je ne l'ai pas vraiment perdu, puisque j'ai l'inquiétude de le chercher. page 88

Un café n'est pas un café. C'est ce qui fait son prix. ...Vous voulez un café? C'est déjà mieux qu'une simple formule de politesse. Donner quelques gouttes de chaleur à notre échange, une convivialité qui n'engage pas à grand-chose. ....L'offre d'un second café...est une façon pudique de signifier que nous n'avons pas passé assez de temps ensemble? j'ai envie de parler davantage avec vous, et de prolonger l'atmosphère. page107

La voix de ceux que j'ai perdus. Je la possède, et elle m'échappe. C'est étrange. page 125

Je ne suis pas sur terre pour ne pas être troublé. page 136

On est fait pour être amoureux, et pas pour être aimé. Pour désirer, et pas pour être désiré. 142

C'est étrange. Je suis à côté de la femme que j'aime et pourtant je me sens amoureux comme à quinze ans. ce n'est plus exactement une attente , mais l'ampleur de mon attente adolescente est restée  en suspens, c'est comme ça. Je rêve à ce que j'ai déjà. page 160.....Prendre  dans ses bras la femme qu'on a aimée toute sa vie. Rester debout, come ça , enlacés, pour rien, sans aucun rapport avec ce qui vient d'être fait, d'être dit. Se taire. Presque aussi intimidant que les premiers gestes. C'est drôle. On  ale visage appuyé sur son épaule et on ne la voit plus. Mais on sent tout son corps, à la fois livré et distant. C'est ça le plus curieux. On  a beau savoir que c'est à cause de cette position, parce qu'on se tient l'un l'autre mais qu'on se tient aussi tout seul, il y a une sorte de retenue, et presque de timidité dans cet élan  immobile. page 161

Eprouver le sentiment de sa présence au monde. page 169

Il ne faudrait pas donner la leçon du passé...si on veut être ensemble dans le présent....Ne pas  revendiquer  sa supériorité  dans la possession du passé, mais accueillir en soi la chance  de vivre deux fois page 173

Il y a des choses que je ne fais pas  et que je vois les autres faire. Ecouter de la musique en courant,  en faisant du vélo, parler au téléphone avec des écouteurs et un micro....Ont-ils la sensation de vivre davantage? Ils préfèrent  en tout cas vivre  en même temps, un ici et un ailleurs. page 176

Qu'est-ce qu'on donne aux autres et qu'est-ce qu'on en reçoit? page 192

Le malheur c'est de perdre  quelqu'un.  Le bonheur, c'est d'avoir quelqu'un à perdre. page 204...Il y a des phrases qui vous cherchent, et on ne le sait pas. des phrases avec des mots très simples. ...La phrase, elle ne me viendra qu'une centaine pages plus loin. Comme une évidence effrayante. Le bonheur, c'est d'avoir quelqu'un à perdre. C'est la phrase de ma vie. Avoir quelqu'un à perdre est le seul vrai privilège. Beaucoup de gens doivent vivre après avoir perdu le quelqu'un ou les quelques-uns qu'ils avaient à perdre. Et d'autres, ne les ont jamais trouvés. Le spots harmonie, paix, équilibre, sérénité, plaisir, joie peuvent avoir un sens pour eux. Mais pas le mot bonheur; page 205, 206. 

Le portable...Le mobile a dilué l'angoisse sans la dissiper.  C'est un objet  magique et redoutable. Il a le pouvoir de supprimer  la peur , et donc de la susciter. page 208

'Colette dans La maison de Claudine). Où sont les enfants?  Ce texte de Colette est  le plus beau  qu'on ait écrit sur l'inquiétude. " J'aimais tant l'aube que ma mère  me l'offrait en récompense." Oui,  l'auteur  de La maison de Claudine avait une mère comme ça., une mère qui laissait son enfant de dix ans partir toute seule pour aller au bord des étangs en quête de lumière, à cinq heures du matin. ...Une mère qui donnait la liberté, et gardait l'inquiétude.  page 209




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