samedi, mai 01, 2021

UN JOUR (Maurice Genevoix) 1976

 "Un jour", une vie, tel est, résumé le nouveau roman vivifiant et contagieux de Maurice Genevoix, qui non seulement, retrouve dans leur familiarité et ans leur somptuosité ses propres thèmes, mais qui les assemble et les confond dans une même voix: celle qu'il donne à son héros. 

Livre-événement. Comment ne pas être brusquement un ami, un compagnon, un complice de ce maître des forêts et des coeurs quand on lit ces pages comme pourrait le faire un jeune homme d'aujourd'hui errant dans une nature qu'il veut à tout prix apprivoiser.

LIvre-événement. Voici la rencontre, dans cette floraison de l'écriture, de personnages simples qui n'acceptent pas la foudre de l'actualité: l'orage continue de gronder. 

Ce qui est miraculeux dans le phrasé de  Maurice Genevoix, c''est  sa sinuosité de "sentier" , qui s'infléchit, se joue, se modèle au gré de la lumière, des bêtes et des frondaisons.

Tout est apprivoisé, l'élan et l'effervescence comme la sagesse: l'Eden n'est pas loin, à l'orée d 'un bois, en premier sillon.

Si nous nous retournons,  ce n'est pas sur un passé mais sur un fourré, sur un vol de vanneau, sur un dialogue où " le crépuscule s'attarde encore à notre gré. "

....et comme vous l'écrivez encore: " Il faut une longue vie pour devenir un homme".  Dans ce livre-jouvence, la contrainte  du temps n'existe plus. 

Au lieu de suivre le bord de la Loire, j'avais marché à l'opposé du fleuve, vers une pinède où je savais trouver le silence grave,  la lumière doucement amortie qui me mettraient quelque apaisement au coeur. la mousse feutrait le sable du chemin que je suivais.  De part  et d'autre,  la foule des pins sylvestres espaçait ses hautes colonnades, d'un rose ardent, peu à peu mauvissant sur les profondeurs  bleues du sous-bois. page 12

Je savais à peu près où  j'étais , à quelques kilomètres, trois ou quatre, de ma maison et de mes habitudes. page 14

Je me demandai où j'étais et c'était la première fois. Peut-être, n'était-ce que pour entendre une voix intérieure  me répondre : "ça m'est égal. Je suis ici". page 15

De très longtemps, je ne suis pas retourné aux Vieux- Gués. l'occupation allemande  pesait sur le Val de Loire, et j'avais quitté ma maison. Mon absence allait  durer  plus de deux ans, jusqu'au début 1943. La zone libre était  à son tour occupée, je n'avais plus les mêmes raisons  de lutter contre la nostalgie  qui me tirait vers les Vernelles. Je les retrouvai sans joie, saccagées par des pillards, profanées, comme désâmées. page 29

A mesure que l'âge vient, le train des jours se précipite et chacun d'eux, de leurre en leurre, nous emporte dans un songe agité d'où on se réveille, un matin , lucide mais septuagénaire. page 44....Je traversai la majestueuse pinède, son silence feutré de mousse , le balancement des cimes et l'approche de la grave rumeur, sous le ciel, au passage  d'une brise dont le souffle  laissait immobile les nappes de fougères de l'été. Ce fut ensuite la friche aux digitales, abri de branches et de chaume....page 45

Entre l'Abel d'aujourd'hui et celui des années de guerre l'identité était immédiate, une sorte de continuité  dont la simple évidence écartait toute comparaison. Et pourtant il avait vieilli: amenuisé, les mains noueuses, un cercle pâle  diluait le mur de ses prunelles bleues.  Seulement , dès qu'il parlait,  tous ces stigmates de l'âge  s'abolissaient. page 48

" Rassurez-vous. Ma vie n'est pas un roman. Elle a frôlé, suscité  traversé, consciemment quelquefois, aveuglément  presque toujours. Et puis, ç'a  été fini. " page 57

A l'aube de chaque jour renaissant: " Je respire, mon coeur bat, je respire"...page 72

Nous étions sortis de l'enclos. Les  bois touchaient, autant dire , à la haie. Je demandai: " Où allons-nous? - Je ne sais pas. Devant nous. - Au hasard? Bien sûr que non! Il y a des signes partout. - Des signes? - Sentez-vous cette odeur qui passe? - Faiblement. - C'est une onagraire en fleur. Il prit un temps.- Nous pourrions aller vers elle. Croyez-moi; c''est encore une merveille. Je la vois luire  au seuil de l'ombre, au bord d'un trou de soleil." page 75

" J'ai semé des  souvenirs partout, dit d'Aubel, partout ici, aux Vieux-Gués. Ils lèvent sur chacun de mes pas, comme des épis, comme Les Feuilles d'Herbe de  Walt  Whitman.  Ces Américains...Je les citerais  sans doute encore: comme  Whitman,  Thoreau, Emerson . Ces vieux sonneurs d'alerte, ils nous ont devancés sur les voies d'une prise de conscience, d'un retour vers une sagesse à visage  d'homme. page 81 ...Nous savons plus que nous n'assimilons. Nous sommes.  Aujourd'hui, hier, c'est pareil. et j'oserai y ajouter : demain. page 82

Nous continuons d'être seuls, hors du temps, côte à côte sur l'herbe du talus où nous nous étions assis.  page 91 ...Je vous ai parlé de la mémoire....C'est, qu'en cette seconde où je suis avant celle où je vais être, je suis aussi  toute ma mémoire, celle qui sait plus de choses que je n'en ai assimilé. Ce jour que nous vivons ensemble, ne doutez pas qu'il n'enrichisse, pour vous, pour moi le patrimoine intérieur où il viendra naturellement  s'intégrer. page 92.....Toute seule, ( la goutte d'eau) elle est en effet perdue. Mais, ainsi intégrée (dans l'eau d'une vasque) la voici du même coup toute retenue, toute gardée par la masse des millions de gouttes, des gouttes passées qui dormaient au creux de la vasque.  page 93

L'averse énorme venait de se taire, les claquements frais des égouttis émouvaient les feuilles sur nos têtes. page 100

(Devant la mare où nageaient des canetons) " Vous avez envie de partir? non? Moi non plus. Je me sens - comment vous dire- large ouvert . Laissons venir, voulez-vous? Et puis, nous marcherons, nous irons au-devant, comme ce matin. Je dis bien : au-devant. Ce qui doit venir viendra, il y aura forcément rencontre. page 121

Il respira profondément. Des rayons de soleil déclinant, dardés des trous des feuillages, ricochaient  sur l'eau de l'étang et venaient trembler devant nous. page 178

Il parlait des hommes d'aujourd'hui " qui jouent à être à ce qu'on croit qu'ils sont " comme son garde  et de la même façon, par une entière  acceptation de soi. ...Reconnaissant le pas d'Hubert, il avait dit: " Vous allez voir un homme" page 183

Pourquoi vous ai-je raconté ces misères? Parce qu'un de mes jours, un de mes jours ordinaires, ce n'est pas seulement la cueillette d'un bon jardinier, la pratique d'un art de vivre qui après tout n'est que le mien, c'est  aussi cela , tout cela: une trame..., serrée, indéchirable, collée à moi comme ma peau au corps. Personne n'est seul; en ce sens que nul vivant n'existe qui ne soit distrait de lui-même, et c'est tant mieux. Il faut aimer ceux qui se distraient de nous. Chacun des vivants qui m'entourent ici, je les aime comme une partie de moi-même. ...Je les aime aussi pour eux. Ou j'essaie, car c'est quelquefois difficile. ..page 195

Devenir un homme ...disait-il. Une longue vie  sans cesse traversée, le mal qu'on fait , celui qu'on souffre...La vie passe, elle est passée, pareille à ce vol d'oiseaux. Mais au passage...;Il se tut de nouveau, reprit soudain de la même voix: - Un longue vie pour devenir un homme, et ce n'est jamais achevé. C'est à l'instant où je mourrai que je deviendrai un peu mieux homme, le plus près de Dieu, j'en suis sûr. Il n'y a pas de mort pour le passant qui s'est perdu vivant...Page 202

Je n'ai pas la manie des dates. Vers la fin août 1940, pour notre première rencontre, septembre 1957 pour la seconde, dix jours plus tard pour la troisième, mais les deux dernières sont la même, je dois m'en fier à ma seule mémoire. ....Le samedi suivant, vers dix heures, un appel de klaxon retentit sur la terrasse des Vernelles. J'allai vers la fenêtre et l'ouvris. Le Docteur  Vomimbert descendait de la voiture..."J'arrive des  Vieux - Gués, D'Aubel vient de mourir.  page 215 Il est mort, le buste droit, tourné vers le vent de la plaine et son horizon de forêts. 




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