jeudi, avril 07, 2022

PARADIS ( Abdulrazak GURNAH) 1994 Prix Nobel 2021.

 Quand ses parents annoncent à Yusuf, douze ans, qu'il va partir séjourner quelque temps chez son oncle Aziz, est enchanté. prendre le train, découvrir une grande ville, quel bonheur pour lui qui n'a jamais quitté son village en Tanzanie. Il ne comprend pas tout de suite que son père  l'a vendu afin de rembourser une dette trop lourde - et qu'Aziz n'est pas son oncle, mais un riche marchand qui a besoin d'un esclave de plus chez lui. 

A travers les yeux de Yusuf, l'Afrique de l'Est au début du XXè siècle,; minée par la colonisation, se révèle dans toute sa beauté et sa rudesse. Toutes ses étendue désertiques de lentes caravanes, dans ce paradis bientôt perdu, le poids d'une vie vaut celui de quelques gouttes d 'eau. 

Il émanait d'Oncle Aziz une odeur étrange de cuir, de parfum, de gommes , d'épices, et , une autre, indéfinissable, évoquant pour Usuf une vie de dangers. ..Oncle Aziz , entouré de porteurs épuisés et bruyants, de marchands rusés et avides, réussissait çà paraître calme et dispos. Mais cette fois, il était venu seul. Yusuf se réjouissait toujours de ces visites. Son père disait qu'elles lui leur faisaient honneur, car il était un négociant riche et réputé mais c'était aussi parce que Oncle Aziz ne manquait jamais de lui faire cadeau d'une pièce de dix  annas chaque fois qu'il s'arrêtait chez ses parents.....Le troisième jour de sa visite, il devint évident que le départ d'Oncle Aziz était proche.Il régnait dans la cuisine une activité inhabituelle, et les divers effluves qui en sortaient annonçaient un festin. ..D'autres fois, Yusef l'entendait ( son père)  se plaindre que la chance lui avait été contraire, que tout ce qu'il avait tenté avait échoué....pages 12, 13

 CECI EST A LIRE A LA FIN.  "Yusuf ( au jardinier âgé) " Pourquoi as-tu refusé la liberté quand la Maîtresse te l'a offerte"? Le vieux, les yeux baissés, les yeux fixés au sol. Pui sil sourit, découvrait quelques dents longues et jaunes. " ça s'est trouvé come ça"....dit-il. Yusuf ne se laissa pas rebuter  par ce qu'il a pris pour une dérobade, et secoua la tête avec impatience. " Mais  tu es son esclave.;;Tu l'es encore....C'est ce que tu voulais? Pourquoi tu n'as pas accepté ta liberté? " Mzi Hamdani soupira. " Tu ne comprends donc rien".  demanda-t-il d'un ton brusque..." Elle m'a offert la liberté, reprit-il comme si c'était un cadeau. Qui  a dit qu'elle avait le pouvoir de me l'offrir?  Je sais  de quelle liberté tu parles, mais je l'ai depuis que je suis né.  quand ces gens disent que je leur appartiens, je t'avoue que, pour moi,  c'est comme un  nuage qui passe, ou un coucher de soleil à la fin du jour. Le lendemain matin, le soleil se lèvera de nouveau, qu'ils le veuilles ou non. La liberté c'est pareil. Ils peuvent t'enfermer; t'enchaîner, se moquer de tes modestes aspirations, mais la liberté n'est pas quelque chose qu'ils peuvent t'enlever. Quoi qu'ils aient pu faire de toi,  tu ne leur appartiens pas, pas plus que lors de ta naissance. Tu me comprends?  Le travail qu'on t'a donné  à faire, c'est le jardin.  Qu'est-ce que cette femme peut m'offrir qui me rende plus libre. " Yusuf se dit que c'étaient là les propos  d'un vieil homme. Non dépourvus de sagesse, ..mais d'une sagesse née de l'endurance et de l'impuissance; peut-être admirable à sa manière....page 255

C'est quand ils virent des hommes courir sur la route qu'ils comprirent que les soldats arrivaient. Khalid se précipita dans la maison pour donner l'alarme, pendant que Yusuf  posait , à la hâte les volets dur le magasin. Puis ils s'assirent tous les deux dans le noir, le cœur battant ..;Il aperçut une colonne de soldats marchant d'un pas régulier derrière un officier allemand, tout habillé de blanc. Page 277

Il eut de nouveau la vision de sa lâcheté, come si elle luisait là, par terre, au clair de lune.  C'était la naissance de sa première terreur, lorsqu'il avait été abandonné. Et maintenant,  devant l'appétit avilissant de ces chiens, il comprit ce qui l'attendait. La colonne en marche était encore visible quand il entendit verrouiller la porte du jardin. Après un rapide coup d'œil autour de lui, il s'élança, les yeux brûlants , à la poursuite de la colonne. page 280

Yusuf avait  participé aux derniers préparatifs et rectifié la position de certains plats....Il avait profité pour inventorier le festin: deux sortes de curry, au poulet et au hachis de mouton; le meilleur riz de Peshawar, des petits pains rebondis aux aromates.....Yusuf avait presque pleuré de convoitise devant cette abondance, qui contrastait avec les maigres repas qui étaient leur ordinaire à cette époque. page 18

Quand sa mère réapparut,...soudain, elle l'attira contre elle, le souleva dans ses bras pour l'embrasser. mais il se débattit frénétiquement pour lui faire lâcher prise. ...C'est alors qu'il a  eu son premier pressentiment. Quand il vit les larmes dans les yeux de sa mère, la frayeur lui serra le cœur. Il ne l'avait jamais vue pleurer.  page 23

Son père vint le chercher. Il venait de s'éveiller de sa sieste, et avait encore les yeux rouges de sommeil. ...Son père vint s'accroupir à côté de lui. Yusuf voyait qu'il s'efforçait de paraître insouciant, et cela l'inquiéta. " Aimerais-tu faire un voyage, mon petit poulpe? lui demanda son père, qui l'attira contre lui, ruisselant de sueur masculine. Yusuf....résista à l'envie d'enfouir sa tête contre la poitrine de son père: il était trop vieux pour cela. Il l'interrogea du regard, tentant de déchiffrer le sens de ses paroles. son père eut un petit rire et le serra contre lui. " ça n'a pas l'air de te plaire dit-il." - Quand? demanda Yusuf, en se tortillant doucement pour se dégager. " Aujourd'hui". dit son père en haussant gaiement sa voix et avec une apparente nonchalance. ..." Où est-ce  que je vais aller?  Et que fait Oncle Aziz? ...." C'est justement avec Oncle Aziz que tu vas partir". reprit le père...;Il dit adieu à sa mère sur le seuil de la maison, et suivit son père et Oncle Aziz à la gare. pages 27, 28

" Je vais te dire une chose, dit -il ( Khalil) enfin à voix basse. Tu es un imbécile, tu ne comprends rien;...Ton père doit beaucoup d'argent au seyyid, sinon tu ne serais pas ici.  Si to Ba l'avait remboursé, tu serais resté chez toi... - Il n'est pas ton oncle" répliqua vivement Khalil..; Oncle par-ci, Oncle par-là. Il veut que tu lui baises la main et que tu l'appelles seyyid...ça  veut dire maître...page 37

A l'heure des repas, Khalil pénétrait à l'intérieur de la maison et en ressortait avec une assiette de nourriture pour chacun d'eux; il y rapportait un peu plus tard les assiettes  vides. le soir, il y déposait le sac de toile contenant les recettes du jour et le livre de comptes. Parfois, dans la nuit, Yusuf entendait de vives discussions. Il savait qu'il y avait des femmes recluses dans la maison...page 50...Yusuf interrogeait enfin Khalil: " Qui habite à n'intérieur de ma maison? "....." La maîtresse de maison est cinglée" dit soudains Khalil qui éclata de rire au petit cri que poussa Yusuf. .." C'est une dame très riche, mais vieille et malade.. Le seyvid l'a épousée, il y a très longtemps, et du coup il est devenu riche. Mais elle est très laide...Elle ne veut pas que les gens la voient".  Khalid s'arrêta là et refusa d'en dire davantage.  page 51

" Kijana mzuri" " joli garçon" dit Mohammed en s'arrêtant près de Yusuf, il lui prit le menton dans sa main tachetée et rugueuse. Frémissant, Yusuf se libéra . " Tu viens avec nous..; Tu vas faire du commerce, apprendre la différence entre une vie civilisée et la vie que mène  les sauvages, il est temps que tu grandisses"  Tout en parlant, un sourire errait sur ses lèvres comme un rictus de bête de proie.... page 68

Le propriétaire du magasin chez qui s'était arrêtée la caravane se nommait Hamid Suleiman...Hamid Suleiman était un homme jovial et bienveillant, qui traita Yusuf comme un parent. ( il reste chez lui après le départ des autres) page 81

Hamid et Maimuna exigeaient qu'il soit à leur service à tous les deux. ils l'appelaient à grands cris.." va chercher de l'eau au puits. Coupe du bois pour le feu. Balaye la cour".. page 88

A présent, partout où ils allaient, ils constataient que les Européens étaient arrivés avant eux, qu'ils avaient mis en place des soldats et des employés à leur solde: ils assuraient  aux populations qu'ils étaient venus pour les sauver de leurs ennemis, lesquels ne cherchaient qu'à les réduire en esclavage. page 91

"Je redoute les temps à venir " dit Hussein à mi-voix. Hamid poussa un soupir. " Tout est en effervescence. Les Européens sont très déterminés, ils  se battent pour nous arracher les richesses de notre terre, et ils nous écraseront tous; ce n'est pas un commerce qui les intéresse, mais note terre, tout ce qu'elle contient, et nous avec...."page 109

"Kimwana, ce garçon ne sait pas lire le Coran! s'écria Hamid en le regardant avec un air effaré. Il n'a ni père, ni mère, et ne connait même pas la parole de Dieu". Ils firent alors subir un interrogatoire serré à Yusuf, qui n'élu aucune question. ...."Alors, il n'y a pas de temps à perdre. Pour le Tout-Puissant, tu es maintenant un adulte soumis directement à Sa loi." dit Hami en prenant au sérieux son rôle de prêcheur...; Chaque après-midi, pendant le mois du Ramadan, Yusuf accompagna les enfants du maître. Il était de loin l'élève le plus âgé , et les autres se moquaient de lui sans relâche. .;Yusuf négligeait son travail, et se plongeait le soir jusque tard dans la nuit dans les livres prêtés par l'imam. Hamid commença à s'inquiéter de cette piété, qu'il jugeait maniaque et pitoyable. On n'avait pas besoin de prendre la religion tellement à cœur. page 125

Les porteurs prévenaient Yusuf que le mnyapara le sodomiserait tôt ou tard. " Io t'aime bien - mais qui n'aimerait un beau garçon comme toi? Ta mère a dû^ être visitée par un ange. page 144

( Les Européens)  On entend des choses sur eux! Les batailles qu'ils ont livrées dans le Sud, les beaux sabres et les merveilleux fusils de précision qu'ils fabriquent!   On dit qu'ils peuvent manger du métal, qu'ils ont un pouvoir sur la comme une ville....Ils ressemblent à des serpents sans peau, ils ont des cheveux dorés comme des femmes...page 147

(Oncle Aziz) La première fois que je suis venu dans cette ville, elle était gouvernée par des Arabes du sultanat de Zanzibar. C'étaient des Omaniens....Et maintenant on parle de ces Allemands , qui construisent une voie ferrée jusqu'ici. C'est eux qui font la loi désormais, mais c'était déjà eux du temps d'Amir Pacha et de Prinzi...Tu te demandes peut-être comment il est venu autant d'Arabes ici en si peu de temps?  Au début, il était  aussi facile  d'acheter des esclaves que de cueillir  des fruits à un arbre. Ils n'avaient  même pas la peine de capturer  leurs victimes -quelques-uns le faisaient pour le plaisir....Il se trouvait  assez de  gens prêts à vendre leurs cousins,  et leurs voisins en échange de pacotille....page 160

"Peu de temps après le départ d'Amir pacha est arrivé Prinzi, le commandant allemand; il a livré bataille au sultan, l'a tué , lui, ses enfants et les membres de sa famille. Les Arabes ont été contraints de se soumettre, et humiliés à un tel point qu'ils ne pouvaient plus forcer leurs esclaves à travailler dans les champs; ils  se cachaient ou se sauvaient. N'ayant plus rien à manger, les Arabes n'ont eu le choix que de partir...A présent, ce sont les Indiens qui leur ont succédé, les Allemands sont leurs seigneurs et les sauvages leurs esclaves". 163

" Je me demande, lui dit Yusuf, pourquoi les gens aiment tant la verroterie. Nous avons vu des gens qui échangeaient un mouton entier contre une poignée de perles. ça n'a aucune valeur, pourtant. Qu'est-ce qu'on peut faire avec des perles? " page 195

 Khalid disait: " Maintenant, raconte-moi ton voyage, je veux tout savoir".  Yusuf avait l'impression de  s'éveiller d'un mauvais rêve.  Il disait à son compagnon que, pendant l'exil s'était senti comme un animal sans coquille, sans défense, misérable et grotesque, avançant péniblement dans la pierraille et les épines.  La terreur qu'il éprouvait, ce n'était pas de la peur; c'était comme s'il n'avait plus d'existence réelle, comme s'il vivrait un rêve, à la limite de l'anéantissement. Et il avait vu des choses qu'il n'aurait jamais pu imaginer. " Sur la montagne, la lumière est verte. Elle ne ressemble à aucune autre. Et l'air est pur, on dirait qu'il a été lavé. Le matin,  quand les rayons du soleil frappent le sommet en neigé, on a une impression d'éternité. A la fin de l'après-midi, près de l'eau, le son des voix monte vers le ciel. Un soir, on  s'est arrêté près d'une cascade. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. On entendait Dieu respirer. Mais un homme est venu et il a voulu nous chasser....Kkalid écoutait sans parler...Parfois, Yusuf restait muet au souvenir de l'immense plaine rougeâtre, grouillante d'hommes et d'animaux et des falaises qui s'élevaient au-dessus du lac , comme des montagnes de feu. é" Comme les portes du Paradis" dit-il. ..."Et qui vit dans ce paradis? "dit-il. Des sauvages et des voleurs qui dévalisent d'innocents marchands, qui livrent leurs propres frères en échange de pacotille, qui sont sans Dieu, sans religion, sans la moindre compassion.. Comme les bêtes sauvages qui les entourent". pages 209, 210

( J'ai écrit plus haut des passages pages 254, 255 et 280.)

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