vendredi, mai 20, 2022

POINT DE PASSAGE ( Konstantinos TZAMIOTIS) 2021

 Par une nuit d'hiver, alors qu'un terrible orage se déchaîne, un bateau chargé de migrants fait naufrage en mer Egée: plus de trois cents survivants se retrouvent sur une petite île dont la population hors saison atteint à peine cent trente âmes. Comment prendre soin de tous alors que le gros temps empêche l'aide extérieure, le ravitaillement, la livraison de médicaments? Par leur arrivée, les rescapés réactivent et exacerbent toutes les tensions existant entre des habitants isolés, qui se sentent eux-mêmes abandonnés par l'Europe. 

Ce récit choral des quelques jours partagés par les réfugiés et leurs hôtes révèle sous diverses  facettes la générosité, la peur, la surprise des rencontres improbables, l'opportunisme glaçant, la détresse, la méfiance et la grandeur d'âme. Comment faire une place à son prochain, l'accueillir et l'accepter comme il est? Avec son regard complexe, qui sonde chaque individu, sans le juger, Konstantinos Tzamiotis signe un roman d'humanité, profond et universel, volontiers cocasse, sur l'une des questions les plus brûlantes de ce début du XXI ème siècle. 

Pour qu'on vienne   frapper à ses volets à une heure pareille et par ce temps de chien, c'est qu'il s'était passé quelque chose. De fait, bien qu'elle eût encore la tête embrouillée de sommeil, Vassiliki enfila comme  elle put ses chaussures de sport, choisit son anorak le plus chaud, mit sa capuche, s'emmitoufla dans son écharpe et sortit de chez elle à toute vitesse. En voyant peu après le groupe amassé au sommet des rochers qui surplombaient les maisons du vieux port, elle eut la certitude qu'il s'était produit quelque chose de grave. Ce n'est que lorsqu'elle eut escaladé toute la pente où commençait l'estacade qu'elle eût la vision complète de la catastrophe et, elle comprit que cette soirée ne ressemblait à aucune de celles qui avaient précédé. ....C'était la première fois qu'elle voyait un spectacle pareil. après bientôt deux ans passés sur l'île, elle pensait s'y être habituée. Il ne se passait pas une semaines sans  un canot ou une embarcation remplie de réfugiés n'étaient pas rares; mais un navire de cette taille  et dans une telle situation, elle n' en avait jamais vu. page 16

Oussama ouvrit les yeux, affolé, et essaya de comprendre où il était. mais; couché sur le ventre, le visage contre terre, il  ne pouvait pas voir grand- chose. Il réussit péniblement à se relever mais n'alla pas jusqu'à se tenir debout et il fut obligé de se mettre à genoux. Anxieux, il inspecta son corps pour voir s'il avait du sang sur ses blessures mais tout semblait normal. Il était juste complètement sonné. Il avait très froid....Quand il fut suffisamment remis, il fouilla dans ses poches  avec frayeur en quête de son téléphone et ne le trouva pas. Il chercha à quatre pattes autour de lui, sans succès. S'il n'avait pas été déjà désespéré, il aurait éclaté en sanglots. Son téléphone était ce qu'il avait le plus précieux. Il avait enregistré les numéros de tous ceux qu'il devait appeler au cours de ses transferts, et ceux de ses proches au pays, au cas où il aurait besoin d'argent. Sans lui, il était perdu. page 59

Soudain, il n'en pouvait plus d'être là.  Il n'aurait même pas dû se trouver  sur cette île. Par un choix inconséquent et prétendument romantique,  au lieu de travailler imperturbablement à son livre, dans son joli bureau, il s'était venu s'enfermer en plein hiver dans ce trou, et risquait de voir son destin lié à celui des gens  dont il ne voulait pas entendre parler. C'était dur, peut-être, mais lui aussi avait ses priorités. Ce qui se passait sous  ses yeux ne le concernait pas . page 84   

Si seulement il avait choisi d'autres études et n'avait pas fait avocat.  S'il avait opté pour  médecin ou polytechnique, comme Karanikolas qui allait quitter le pays  sitôt dégagé du service.  Il y avait de la demande à l'étranger, pour les médecins et les ingénieurs. Mais les avocats, ce n'était pas la même histoire. C'est que le droit grec  et le droit anglais  n'étaient pas du tout les mêmes. S'il voulait travaillet et gagner sa vie décemment, il allait devoir reprendre un doctorat, tout recommencer à zéro. Mais, tous ça coûtait de l'argent. , tous ça.... page 96

" Je ne supporte plus cette situation, explosa-t-elle, et elle tira une chaise pour s'asseoir. ça fait deux ans  maintenant que les gens arrivent ici, sans arrêt, j''en ai ma claque. J'en ai ma claque de la misère; Ma claque de les voir se noyer. Ma claque de les voir espérer qu'une vie meilleure les attend.  Comment te faire comprendre? J'en ai marre que ma vie tourne autour d'eux. Je sais, j'ai l'air horrible. comme ceux qui ne pensent qu'à eux, mais je n'en peux plus  de faire comme si tout allait bien.. Moi, j'ai un toit sur la tête alors qu' eux, ils ont tout perdu. A la fin,  ce n'est pas ma faute que le sort s'acharne sur eux. Pourquoi je dois souffrir avec eux? page 101..." Tu te souviens des sacs à dos qu'on repêchait en mer? continua Ingrid d'une voix tremblante. Je les prenais, je les lavais avec tout ce qu'ils contenaient,, je les remettais à neuf.  Et comme ça,  les suivants, quand ils avaient perdu les leurs, ils allaient  en retrouver un autre, plein de choses utiles.  J'aimais être utile. L'idée d'aider les autres m'apportaient de la joie, du bonheur même. Mais, voilà trop longtemps que ça dure.  Je ne peux plus faire semblant d'être forte, ni pour eux, ni pour qui que ce soit. Et je ne vais pas m'excuser d'avoir un toit  au-desus de ma tête et de manger à ma faim. Il faut que je pense à moi. " page 102

" Ne comptez pas sur l'aide de la grande île...- Raison de plus  pour oublier les belles paroles et voir d eplus près comment s'y prendre pour protéger  notre île et nos biens, continua l'ancien maire.... Et autre chose.... Ces gens-là, ils sont qui?  Qu'est-ce qui nous garantit qu'il n'y a pas un criminel parmi eux? " page 114

" L'Europe n'est pas le paradis dont ils rêvent. Du moins, pas pour tout le monde. "- " Vous m'accorderez que l'enfer  non plus n'est le même pour tous.  répliqua sèchement Rachid. page 114

Beaucoup de travail l'attendait, trois cents miches avant midi. On lui avait promis de l'aide, mais elle savait que c'étaient des paroles en l'air et qu'elle aurait probablement tout à  faire seule. En habituée, elle estima d'un coup d'oeil la quantité de sacs de jute empilés, en prit un, le  déchira par le haut avec le couteau qu'elle gardait à cet effet et mit la farine dans le pétrin métallique. Elle ajouta la levure, le sel et enfin l'eau. Ayant tracé au-dessus des ingrédients le signe de croix, elle mit l'appareil en marche.....page 122

" Tu ne comprends pas vraiment rien? fit le maire, scandalisé. Ces gens sont désespérés. C'est méprisable de profiter des comportements odieux de quelques-uns pour calomnier tout le monde.  - Vous insistez pour les voir comme des victimes innocentes alors qu'ils sont en majorité des centaines de clandestins, qui n'ont rien à faire chez nous.  - Tu devrais avoir honte. .;Un réfugié est sacré.. Page 138....La moitié de l'Asie et de l'Afrique sera passée par ici, ça va bien maintenant. Pour qui ils nous prennent? On est un pays minuscule. C'est écrit qu'on est obligés de les nourrir, habiller, héberger tous ceux qui passent? Et avec ça, faudrait les traiter avec tous les égards?. Tu étais là, tu as vu ce qui aurait pu se passer tout à l'heure. Ces fumiers ont vite fait de te faire bouffer ta charité dès que ça ne se passe pas comme prévu.  page 139

Il s'approcha d'une des femmes qui préparaient le repas du soir. " Je veux aider, lui dit-il en la regarda    nt dans les yeux. Dites-moi ce que je peux faire.   La femme sourit, lança un coup d'oeil à la dérobée à sa voisine et lui fit signe de la suivre. page 152

" ça peut faire un gentil petit pactole insista Zacharias. - Sans blague, la moitié de ceux qui arrivent sont pleins aux as, ajouté Mitsos. - Ne me dites pas que ce sont des choses bien? intervint le capitaine.  - C'est la loi de l'offre t de la demande, poursuivit Zacharias dans sa lancée Tant qu'il s'en trouvera pour acheter, il y en aura pour vendre.  ça s'appelle le commerce, c'est mal?  - Ce n'est pas bien de profiter de ceux qui sont dans le besoin. , c'est ce que je veux dire, dit le vieil homme en secouant tristement la tête. page 156

Je ne vais pas vous mentir. ça fait cinq mois que je suis là. Au début, même si c'était dur,  j'ai essayé d'être compréhensif envers tout le monde. je dis ça parce qu'il  faudrait pas croire que je suis un type gâté qui se fut d ela lisère du monde . mais  plus le temps passe, plus c'est dur.  -- "Après tout ce que j'ai vu ici, il a peur qu'en rentrant à Athènes, plus rien ne l'impressionne, ni la misère , ni les gens qui dorment dehors, ni quoi que ce soit qu'on voit ici tous les jours." - " C'est pas qu'on devienne indifférent,...C'est juste qu'à un moment, il faut  qu'on se protège,. .On ne peut pas compatir à la douleur du monde entier,  ce n'est pas normal, ce n'est pas humain.  " - " Pourtant, tout à l'heure, quand quelqu'un est venu vous demander de lui prêter votre portable, vous l'avez fait sans hésiter. " - "ça s'est fait comme ça. Depuis ce matin, 'ai fit non à une dizaine d'autres. page 196

" Faire ce qu'on peut, c'est déjà beaucoup, fit remarquer  Vassiliki en essayant de rester à une certaine distance de lui. page 201

Le maire, come la plupart des habitants se tenait encore devant le café lorsque le bateau disparut à l'horizon....." Si les choses ne s'étaient pas passées comme elles se sont passées, si....- -  Si, au lieu de les rejeter , nous les avions gardées. Quel mal y aurait-il?     - ça me navre de voir des jeunes mourir, mais ça me navre aussi de voir qu'ils ne veulent pas de nous. Qu'est-ce qu'on leur a fait pour qu'ils veuillent partir?  C'est mieux, là où ils vont? Le maire repartit d'un éclat de rire.  " C'est les maisons vides qui manquent? Ou les champs de blé en friche qu'on ne vont pas donner de pain? Qu'on les confie à des gens qui n'ont pas peur de travailler, et tout ça, va revivre. Tu sais combien ils nourrissaient  de personnes autrefois, ces champs que vous , les jeunes,  vous voyez comme des déserts? Ce ne sont pas nos compatriotes qui vont s'en occuper. ...Les vergers pourraient  renaître...Page 209

" Et nous, quand on s'est fait chasser d'Anatolie, on avait l'air de quoi en arrivant ici?  J'aurais voulu t'y voir, pour qu'on comprenne dans quelle misère on  a été jusqu'à ce que ça s'arrange. On était de vrais sauvages. Pour une poignée de câpres, tu te faisais défoncer le crâne. ...page 210

Un cri retentit.  Tout le monde se tourna du côté d ela petite place. Quelqu'un arrivait pour prévenir que, sur l'autre côté de l 'île, trois barques venaient d'apparaître, pleines de monde. page 209




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