jeudi, août 18, 2022

UNE SI LONGUE LETTRE ( Mariana BA) 1979

 Une si longue lettre est une œuvre majeure, pour ce qu'elle dit de la condition des femmes. au cœur de ce roman, la lettre que l'une d'elles Ramatoulaye, adresse à sa meilleure amie, pendant la réclusion traditionnelle qui suit son veuvage. Elle y évoque leurs souvenirs heureux d'étudiantes impatientes de changer le monde, et cet espoir suscité par les Indépendances. Mais elle rappelle aussi les mariages forcés, l'absence de droits des femmes. et tandis que sa belle-famille vient prestement reprendre les affaires du défunt, Ramatoulaye évoque alors avec douleur le jour où son mari prit une seconde épouse, plus jeune, ruinant vingt-cinq années de vie commune et d'amour. La Sénégalaise Mariana Bâ est la première romancière africaine  à décrire avec une telle lumière la place faite aux femmes dans la société. 

Modou Fall est bien mort, Aïssatou. En attestent le défilé ininterrompu d'hommes et de femmes qui " ont appris", les cris , les pleurs qui m'entourent. page 15

J'espère bien remplir mes charges. Mon cœur  s'accorde aux exigences religieuses. Nourrie, dès l'enfance, à leurs sources rigides, je crois que je ne faillirai pas; Les murs qui limitent mon horizon pendant quatre mois et dix jours ne me gênent guère. J'en ai moi assez de souvenirs à ruminer. et ce sont eux que je crains car ils ont le goût de l'amertume. page 25

"Le Mirasse" ordonné par le Coran, nécessite le dépouillement d'un individu mort de ses secrets les plus intimes. Il livre ainsi à autrui ce qui fut soigneusement dissimulé. ....Je mesure avec effroi, l'ampleur de la trahison de Modou. L'abandon de sa première famille ( mes enfants et moi) était conforme à un nouveau choix ce  vie. Il nous rejetait. Il orientait son avenir sans tenir compte de notre existence. ...Mort sans un sou d' économie. page 26

Chaque vie recèle une parcelle d'héroïsme, un héroïsme obscur fait d'abdications, de renoncements et d'acquiescements, sous le fouet de la fatalité. page 30

(celui qui devint son mari est allé en France pour études) ..dans tes lettres, " ce que la femme blanche possède  de plus que la Négresse sur le plan strictement physique est la variété dans la couleur, l'abondance, la longueur et la souplesse de la chevelure. Il y a  aussi le regard qui peut être vert, bleu, souvent couleur de miel neuf; page 34

Je n'oublierai  jamais la femme blanche qui, la première,  a voulu pour nous, un destin "hors du commun" Notre école......Nous sortir de l'enlisement des traditions , superstitions et mœurs, nous faire apprécier de multiples civilisations sans reniement de la nôtre, élever notre vision du monde, cultiver notre personnalité, renforcer nos qualités, mater nos défauts, faire fructifier en nous les valeurs de la morale universelle, voilà la tâche  que s'était assignée l'admirable directrice.  Le mot "aimer avait une résonnance  particulière en elle; Elle nous aimait sans paternalisme, avec nos tresses debout ou pliées,  avec nos camisoles, nos pagnes. Elle sut découvrir et apprécier nos qualités. page 38

Que feront ceux qui ne réussissent pas? L'apprentissage du métier traditionnel apparaît dégradant à celui qui  a un mince savoir livresque; On rêve d'être commis,. On honnit la truelle.  La cohorte des sans -métiers  grossit les rangs des délinquants. page 42

Et nous vivions . Debout dans nos classes surchargées, nous étions une poussée  du gigantesque  effort à accomplir, pour la régression de l'ignorance. page 50

Privilège de notre génération, charnière entre deux périodes historiques, l'une de domination, l'autre d'indépendance; nous étions restés jeunes et efficaces, car nous étions porteurs de projets. L'indépendance acquise, nous assistions à l'éclosion d'une république, à la naissance d'un hymne national et à l'implantation d'un drapeau. page 53

( Le mari de l'amie à qui la lettre est adressée prend une seconde épouse) Alors, tu ne comptais plus.  Le temps et l'amour investis dans ton foyer? Des bagatelles vite oubliées. tes fils? Ils ne pesèrent pas lourd dans cette réconciliation d'une mère et de son "seul homme"; tu ne comptais plus, pas plus que tes quatre fils: ceux-ci ne sauront jamais les égaux de fils de la petite Nabou. ..tes fils ne comptaient pas.  La mère de Mawdo, princesse, ne pouvait se reconnaître dans le fils d'une bijoutière. Mawdo ne te chassait pas. Il allait à son devoir et souhaitait que tu restes. La petite Nabou restait chez sa mère; c'est toi qu'il aimait. Tous les deux jours, il se rendait la nuit chez s amère, voir l'autre épouse pour que sa mère " ne meure pas"; pour "accomplir un devoir".  Comme tu fus plus grande que ceux qui sapaient ton bonheur. page 63  Tu choisis la rupture, un aller sans retour avec tes  quatre fils, en laissant sur le lit qui fut vôtre,  cette lettre destinée à Mawdo et dont je me rappelle l'exact contenu. "....je me dépouille de ton amour, de ton nom. Vêtue du seul habit valable de la dignité, je poursuis la route. Adieu. " Aïssatou. page 64

Et tu partis. Tu eus le surprenant courage  de t'assumer.  Tu louas une maison et t'y installas.  Et au lieu de regarder en arrière, tu fixas l'avenir obstinément. Tu t'assignas un but difficile. Et plus que ma présence, mes encouragements, les livres te sauvèrent. Puissance des livres,  invention merveilleuse de l'astuce intelligente humaine.  Signes divers,  sons différents qui moulent le mot. Agencement de mots d'où jaillissent  l'Idée, la Pensée,  l'Histoire, la Science,  la Vie.  Instrument  unique de relation, de culture, moyen inégalé de donner et de recevoir.  Les livres soudent des générations au même labeur continu qui fait progresser. Ils te permirent de te hisser . Ce que la société refusait, ils te l'accordèrent: des examens passés avec succès, te menèrent  toi aussi en France. L'école d'Interprétariat d'où tu sortis, permit ta nomination à l'ambassade du Sénégal  aux Etats-Unis. Tu gagnes largement ta vie. Tu évolues dans la quiétude, comme tes lettres me le disent.....page 66

(le mari de Aïssatou ) Il ravalait la petite Nabou au  range de "mets." Ainsi, pour changer de  "saveur" les hommes trompent leurs épouses. J'étais offusquée. page 68

Mon drame survint trois ans après le tien. Mais, contrairement à ton cas, le point de départ ne fut pas ma belle-famille. Le drame prit racine en Modou lui-même....puis, un jour, en revenant de l'école, Daba ( sa fille) m'avoua que Binetou avait un sérieux problème. - "Le vieux des robes " prêt à porter" veut épouser Binetou. Imagine un peu. Ses parents veulent la sortir de l'école, à quelques mois du bac , pour la marier au vieux. - Conseille-lui de refuser dis-je..... - Et si l'homme en question lui propose une villa, la Mecque pour ses parents, voiture , rente mensuelle, bijoux?  - Tout cela ne vaut pas son capital jeunesse"...."Maman! Binetou, navrée,  épouse son  "vieux" . sa mère a tellement pleuré. elle l'a supplié de lui donner "une fin heureuse, dans une vraie maison" que l'homme leur a promise. Alors, elle a cédé. " page 70

Binetou, une enfant de l'âge de ma fille Daba, promue au rang de co-épouse et à qui je devais faire face. page 76...Binetou est un agneau immolé comme beaucoup d'autres sur l'autel du "matériel".  page 77..;Partir?  recommencer à zéro, après avoir vécu vingt-cinq années avec un homme, après avoir mis au monde douze enfants...Partir! Tirer un trait sur le passé. Tourner une page ....page 78

Et au grand étonnement de ma famille désapprouvée unanimement par mes enfants ..;je choisis de rester.....Je pleurais tous les jours. Dès lors, ma vie changea...le vide m'entourait....page 88...Je survivais. En p)lus de mes anciennes charges, j'assumais celles de Modou... Je survivais.  Je me débarrassais de ma timidité pour affronter seule les salles de cinéma, je m'asseyais à ma place, avec de moins en moins de gêne, au fil des mois. On dévisageait la femme mûre sans compagnon. Je feignais l'indifférence, alors que ma colère martelait mes nerfs et que mes larmes embuaient mes yeux. Je mesurais aux regards étonnés, la minceur de la liberté accordée aux femmes. Les séances de matinée me comblaient..Le cinéma, quel dérivatif puissant  à l'angoisse...;Je survivais...J'assignais à la radio un rôle consolateur. ...pages 98, 99, 100, 101

Tu me diras: " la vie n'est pas lisse. On  bute sur des aspérités page 105

( un ancien prétendant, Daouda Dieng) " Elle doit bien se porter  cette assemblée masculine!  " Je donnais un ton taquin à mon propos, tout  en roulant mes yeux.  - Toujours frondeuse, Ramatoulaye. Pourquoi cette affirmation ironique et cette qualification vexante, alors qu'il y a  des femmes  à l'assemble". - Quatre femmes, Daouda sur  sur une centaine de députés. Quelle dérisoire proportion! Même pour une représentation régionale. ..;Presque vingt ans d'indépendance! A quand  la première femme ministre.. Pages 112, 113 " Quand la société éduquée arrivera-t-elle à se déterminer non en fonction du sexe, mais des critères de valeur? page 114

Etre femme! Vivre en femme! Ah Aïssatou!  page 120

Le parti unique ne traduit  jamais l'expérience unanime des citoyens. Si tous les individus étaient du même moule, ce serait l'épouvantable collectivisme. Les différences engendrent des chocs qui peuvent être bénéfiques au développement d'un pays si elles émanent de patriotes vrais qui n'ont d'ambition que le bonheur des citoyens.  page 121

Le rêve d'une ascension sociale fulgurante pousse les parents à donner plus de savoir que d'éducation à leurs enfants;  page 136..  L'appétit de vivre tue la dignité de vivre. page 136

On est mère pour comprendre l'inexplicable. On est mère pour illuminer les ténèbres. On est  mère  pour couver, quand les éclairs zèbrent la nuit, quand  le tonnerre viole la terre, quand la boue enlise. On est mère pour aimer, sans commencement, ni fin. page 153



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