lundi, septembre 10, 2007

LES DAMES DE NAGE (Bernard Giraudeau)

J'ai gardé de l'enfance, et d'Amélie, ils sont liés, l'amour de l'inconu à défricher, avec la peur au ventre comme une jouisance. Ce n'est pas l'amour de l'exotisme come dit Le Clézio, les enfants n'ont pas ce vice. Non, c'est le bonheur immédiat, sensuel, d'une ruelle de village africain, ou andin, c'est de respirer des parfums étranges et parfois reconnus, humer comme l'étalon, les vastes plaines, attaquer les pentes montagneuses sous les nuées, c'est la menthe sauvage au petit matin, le thym écrasé, l'herbe fraîche à peine fauchée. J'ai gardé ce plaisir à rejoindre aux premières lueurs les landes fumeuses, les bords de mer encore mauves abandonnés par les hordes humaines. J'aime les silhouettes des arbres, l'élégance des ramures au milieu des prairies, les ombres sur les dunes sahariennes, les villages flottants sur les lacs cambodgiens. Je donnerais toutes les suites du Carlton pour un bivouac et un feu de bois sec, pour de l'eau fraîche au creux des mains à faire ruisseler sur le torse nu, pour les frissons de bonheur aux premières lueurs. Rien n'effacera sur les bancs de l'école l'attente rêveuse du dimanche à venir avec la promesse d'une immersion dans les feuillages d'automne ou celle de se droguer aux premières odeurs, retrouver les copains aux foulards bleus pour tailler des bois verts et allumer des écorces. page 17
Filmer, voilà ce que j'ai voulu faire, pour piller, pour ne rien perdre, pour retenir l'enfance, pour garder quelque chose du regard des hommes et de l'instant...Croire que je pouvais figer le moment, retenir l'authenticité d'un visage, d'un acte était dérisoire même si parfois j'avais tissé de belles histoires, mais elles n'étaient que des histoires , des contes, des esquisses de vie. Je n'avais pris que des papillons qui perdaient leur pollen dans les mailles du filet en attendant l'épingle du collectionneur. J'épinglais des instants. J'ai aimé faire cela mais je n'ai regardé le monde que dans l'étroite fenêtre de mon appareil. J'ai aimé tricher avec le vécu, j'ai inventé, recousu, sculpté autrement la réalité proposée. J'ai occulté une part de l' essentiel. J'ai filmé l'instant sans le vivre jamais. J'avais peur de le perdre....J'avais voyagé trop vite, dévoré le monde avec voracité, avec la peur de ne jamais den'avoir jamais le temps. Le temps de quoi? Là où je suis, j'ai le temps, je l'ai pris et je le laisse filer à son rythme à lui, tardivement, je l'admets, mais il m'a fallu tout ce temps. page 22
Elle avait une larme accrochée à sa joue, un bijou de deuil qui restait suspendu et que Michel aurait voulu boire. page 33
Il s'était assis là à regarder des heures au-delà du fleuve, avec des épines d'acacia dans la poitrine. Il avait fini son voyage, épuisé par l'impossible. Il disait que le danger était la précipitation, comme le bonheur. Un bonheur précipité est un bonheur gâché. Il ne faut pas anticiper le destin., au risque de le décevoir. Le danger est dans la boulimie, la soif du connaître. Il faut laisser le voyage à l'étonnement et il n'avait pas su. Michel avait dû faire le bilan de sa vie, de ses instants de bonheur fragile, ses passions, ses lâchetés surtout qui l'avaient écarté de la possibilité d'un bel amour. page 44
"Vivre, c'est s'obstiner à achever un souvenir" disait René Char. Peut-être que je m'obstine, moi, à fabriquer des souvenirs pour que cette vie ne s'achève pas. Elle n'est qu'une succession de souvenirs édifiée avec les erreurs, écrite en pleins et déliés avec des fautes et des ratures. Les hommes s'écrivent. Ils écrivent leur histoire. page 102
Diego, Michel et moi avions appris avec elle que "la jalousie est un défaut généré par le désir de possession et un ego en érection. Le coeur, c'est comme le sexe, ça gonfle et ça défaille. La jalousie, c'est la peur de l'exclusion, le symptôme délirant de l'abandon. Un homme jaloux n'est pas amoureux, il est seulement jaloux."page 127
Michel allait et venait pour des emplois à durée très déterminée. Il s'échappait des bras de Jo et de notre amitié.
Il avait peur de sombrer dans une vie attendue, je veux dire empruntée aux acquis, avec un bonheur formaté, des habitudes, une sécurité en intraveineuse. Des conneries d'homme avait dit Jo. page 129
Elle disait qu'elle m'aimait. Moi aussi. Mais je me suis aperçu que dans l'amour, elle se recevait elle-même. Je sentais cela, cette fusion indépendante, ce mariage solitaire avec sa jouissance à elle. Même son regard se perdait en elle. Elle aurait pu en aimer un autre à ce moment-là, mais elle ne le savait pas. Elle n'avait pas appris peut-être, ou trop souvent seule. On n'apprend pas l'amour seul. Il faut être deux pour être un dans l'oubli du monde, de soi pour l'autre, et se fondre dans la lumière, sans ombre. page 156
Il faur être comme l'arbre à papillons, prêt à accueillir le bonheur, et tu verras, il viendra sur ton épaule. C'est un jour de grande fatigue , en fermant les yeux, que je l'ai vu. page 250

Aucun commentaire: