mardi, septembre 18, 2007

PARTIR (Tahar Ben Jelloun)

Quitter le pays. c'était une obsession, une sorte de folie qui le travaillait jour et nuit. Comment s'en sortir? comment en finir avec l'humiliation? partir, quitter cette terre qui ne veut plus de ses enfants, tourner le dos à un pays si beau et revenir un jour, fier et peut-être riche, partir pour sauver sa peau, même en risquant de la perdre...page 23
Cher pays, aujourd'hui est un grand jour pour moi, j'ai la possibilité, la chance de m'en aller, de te quitter, de ne plus respirer ton air, de ne plus subir les vexations et humiliations de ta police, je pars, le coeur ouvert, le regard fixé sur l'horizon, fixé sur l'avenir; je ne sais pas encore exactement ce que je vais faire, tout ce que je sais, c'est que je suis prêt à changer, prêt à vivre libre, à être utile, à entreprendre des choses qui feront de moi un homme debout, un homme qui n'a plus peur, qui n'attend pas que sa soeur lui file quelques billets pour sortir, acheter des cigarettes, un homme qui n'aura plus affaire à Al Afia, le truand, le salaud qui trafique et corrompt. page 73
Et puis, il s'arrêta d'un coup et se dit à voix basse:"et la langue? Quelle langue parlons-nous avec nos enfants?Ah, la langue arabe dialectale, elle est si poétique dans le pays et si étrangère ici. Nous parlons un mauvais arabe truffé de mots français!"
Il arriva à la conclusion que l'islam était la culture dont les immigrés comme lui, avaient besoin; Il entreprit donc, avec difficulté, de faire admttre aux élus de la municipalité, la nécessité de construire une mosquée.page 92
Que veux-tu faire plus tard? (Malika la jeune voisine d'Azel)
-Partir.
-Partir, ce n'est pas un métier!
-Une fois partie, j'aurai un métier.
-Partir où?
-Partir n'importe où, en face par exemple.
-En Espagne?-Oui, en Espagne, França, j'y habite déjà en rêve.
-Et tu t'y sens bien?
-Cela dépend des nuits.
-C'est-à-dire?
-En fait, ça dépend des nuages, pour moi, ce sont des tapis sur lesquels je voyage de nuit, il m'arrive de tomber et là, je me réveille avec une petite bosse sur le front.
-Quelle rêveuse!
-Pas seulement. j'ai des idées, des projets et puis, tu verras, j'y arriverai.
Azel lui offrit une pomme et la raccompagna chez elle. Il était étonné et ému par l'incroyable détermination de cette gamine. page 98
Partir, partir! Partir n'importe comment, à n'importe quel prix, se noyer, flotter sur l'eau, le ventre gonflé, le visage mangé par le sel, les yeux perdus... Partir! C'est tout ce que vous avez trouvé comme solution. Regardez la mer: elle est belle dans sa robe étincelante, avec ses parfums subtils, mais la mer vous avale puis vous rejette en morceaux...page 148
Quand je me rappelle ma vie là-bas, dans le bled, je ne suis pas mécontent d'être ici, même si ce n'est pas le paradis, au pays, faudrait plus qu'on se raconte des bobards du genre: l'Espagne, c'est le rêve, le paradis sur terre, l'argent facile, les filles qui tombent, la sécurité sociale, etc... etc... mais je crois qu'au fond, les gens savent la vérité, ils regardent la télé, ils voient bien comment nous sommes reçus ici, ils voient bien que ce n'est pas le paradis, mais au fait où se trouve le paradis sur cette terre? Tu sais toi? Moi, je sais. c'est lorsque je me retrouve dans mon lit, seul , que je fume un joint, et que je pense à ce que je serais devenu si j'étais encore au bled, et puis, je bois encore un verre ou deux et je me laisse emporter par le sommeil, content, paisible, heureux, pas trop exigeant, je dors et je fais plein de rêves en couleurs, en arabe, en espagnol, avec des poissons bigarrés qui dansent dans ma tête, et une musique jouée par la plus belle des femmes, ma mère.page 159
Miguel découvrit soudain qu'il y avait quelque chose de terrifiant dans la solitude de l'immigration, une sorte de descente dans un gouffre, un tunnel de ténèbres qui déformait le réel...L'exil était le révélateur de la complexité du malheur. Miguel prit brusquement conscience de l'urgence qu'il y avait à renvoyer Azel et Kenza au Maroc. Leur retour était certainement la seule chose qui leur permettrait de retrouver leurs repères et de guérir. page 243

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