vendredi, octobre 11, 2019

LES CHOSES ( Georges PEREC)

Notre époque s'est reconnue dans le roman de Georges Pérec. De là, son succès immédiat et le fait que son titre ait passé dans le langage courant.
Pour nous, désormais, l'idée du bonheur est liée aux "choses" que l'on acquiert: divans de cuir, chaussures anglaises, vêtements de cashmere, chaînes de haute fidélité, tapis hindous, tables campagnardes et fauteuils Louis XIII.
Mais de quel prix nous faut-il les payer? Choisirons-nous la liberté ou les choses?  Tel est notre dilemme.
Ce livre a reçu le Prix Renaudot en 1965
 
Il leur semblerait parfois qu'une vie entière pourrait s'écouler harmonieusement entre ces murs couverts de livres, entre ces objets si parfaitement domestiqués qu'ils auraient fini par les croire de tout temps créés à leur unique usage, entre ces choses belles et simples, douces, lumineuses. Ils ne connaîtraient pas la rancœur, ni l'amertume, ni l'envie.  page 16
 
Ils auraient aimé être riches. Ils croyaient qu'ils auraient pu l'être. Ils auraient su s'habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discrétion nécessaires. Ils auraient oublié leur richesse, auraient su ne pas l'étaler......page 19

Mais l'horizon de leurs désirs était impitoyablement bouché, leurs grandes rêveries impossibles n'appartenaient qu'à l'utopie.
Ils vivaient dans un appartement minuscule et charmant, au plafond bas, qui donnait sur un jardin.  page 20

Ils ne pensaient  qu'en termes de tout ou rien. page 24

Ils aimaient la richesse avant d'aimer la vie. page 28

Il leur semblait qu'ils maîtrisaient de plus en plus leurs désirs: il savaient ce qu'ils voulaient; ils avaient des idées claires, ils avaient ce que serait le bonheur, leur liberté. page 30

Pour la première fois, ils gagnèrent quelque argent. Leur travail ne leur plaisait pas: aurait-il pu leur plaire? Il ne les ennuyait pas trop non plus. Ils avaient l'impression de beaucoup y apprendre. D'année en année, il les transforma.
..Ils n'avaient rien; ils découvrirent les richesses du monde. page 40

Ils changeaient ; ils devenaient autres. page 43

Ils ne s'en cachaient pas: ils étaient des gens pour L'Express...L'Express leur offrait tous les signes de confort: les gros peignoirs de bain, les plage sà la mode, la cuisine intelligente...page 53

Plutôt que d'acheter en solde, comme cela se pratiquait partout, trois fois l'an, ils préféraient les secondes mains.  page 56

Leur plus grand plaisir était d'oublier ensemble (avec les amis), c'est-à-dire de se distraire. Ils adoraient boire d'abord, et ils buvaient beaucoup , souvent, ensemble.  page 61
Ils étaient épris de liberté. Il leur semblait que le monde entier était à leur mesure. page 62
 
Les gens qui choisissent de gagner d'abord de l'argent, ceux qui réservent pour plus tard, pour quand ils seront riches, leurs vrais projets, n'ont pas forcément tort. Ceux qui ne veulent que vivre, et qui appelle vie la liberté la plus grande, la seule poursuite du bonheur, l'exclusif assouvissement de leurs désirs ou de leurs instincts, l'usage immédiat des richesses illimitées du monde - Jérôme et Sylvie avaient fait leur ce vaste programme -  ceux-là seront toujours malheureux. page 80
 
Tout leur donnait tort, et d'abord, la vie elle-même. Ils voulaient jouir de la vie, mais , partout autour d'eux, la jouissance se confondait avec la propriété. page 83
 
L'économique, parfois, les dévorait tout entiers.  Ils ne cessaient pas d'y penser.  Leur vie affective même, en dépendait étroitement.  page 86
 
C'était une nostalgie un peu hypocrite: la guerre d'Algérie avait commencé avec eux, elle continuait sous leurs yeux.  Elle ne les affectait qu'à peine. Ils agissaient parfois, mais ils se sentaient rarement obligés d'agir. Longtemps, ils ne pensèrent pas que leur vie, leur avenir, leurs conceptions puissent un jour s'en trouver bouleversés.  page 92
 
Ils voulaient la surabondance; ils rêvaient de platines Clément, de plages désertes pour eux seuls, de tours du monde, de palaces....Ils étaient enfoncés dans un gâteau dont ils n'auraient jamais que les miettes.....
Ils se disaient que l'amitié les protégeait. La cohésion du groupe constituait une garantie sûre, un point de repère stable. page 104
 
Ils ne méprisaient pas l'argent. Peut-être, au contraire, l'aimaient-ils trop: ils auraient aimé la solidité, la certitude, la voie limpide vers le futur. Ils étaient attentifs à tous les signes de la permanence: ils voulaient être riches. page 108
 
Ils croyaient imaginer le bonheur; ils croyaient que leur invention était libre, ..;Ils croyaient qu'il leur suffisait de marcher pour que leur marche soit un bonheur. Mais  ils se retrouvaient seuls, immobiles, un peu vides. page 131
 
Ils tentèrent de fuir.
On ne peut vivre longtemps dans la frénésie. ..Leur impatience était à bout. Ils crurent comprendre  ,, un jour, qu'il leur fallait un refuge. page 137
 
Ils rêvaient de vivre à la campagne, à l'abri de toute tentation.  leur vie serait frugale et limpide. Ils auraient une maison à pierres blanches...page 138

Ils partirent donc.  On les accompagna à la gare. , et le 23 octobre , au matin,  avec quatre malles de livres et un lit de camp, ils embarquaient à Marseille, à bord du Commandant-Crubellier, à destination de Tunis. page 141
Ils étaient heureux d'être partis. Il leur semblait qu'ils  sortaient d'un enfer  de métros bondés, de nuits trop courtes,  de maux de dents, d'incertitudes. Ils n'y voyaient pas clair. Leur vie n'avait été qu'une espèce de danse incessante sur une corde tendue, qui ne débouchait sur rien...Ils se sentaient épuisés. Ils partaient pour s'enterrer, pour oublier,  pour s'apaiser. page 142

Puis Sylvie commença la classe. Jour après jour, ils s'installèrent.  page 145
Jérôme avait d'abord essayer  de trouver du travail....Ce fut peine perdue. ...Le salaire de Sylvie leur permettait de vivre  petitement: c'était à Sfax, le mode de vie le plus répandu. page 152
 
Sfax était une ville opaque.Les portes ne s'ouvriraient jamais. page 155
Ils cherchaient autour d'eux des signes de connivence. Rien ne leur répondait. page 156
 
Ils étaient au cœur du vide, ils étaient installés dans no man's land, de rues  rectilignes, de sable jaune, de lagunes.....;qu'ils ne comprenaient pas, car jamais, dans leur vie passée, ils ne s'étaient préparés à devoir un jour s'adapter, se transformer,  se modeler sue un paysage, un climat, un mode   de vie: pas un instant. page 159
Leur vie était comme une trop longue habitude, comme un ennui presque serein: une vie sans rien. page 160
 
Ils n'achetaient rien.(ils visitent une vile en Tunisie)..Aucun de ces objets, pour somptueux qu'ils fussent parfois, ne leur donnait une impression de richesse.....tout ce qu'ils voyaient demeurait étranger, appartenait à un autre monde, ne les concernait pas. page 168
 
Ils reviendrons donc...Ils reverrons Paris...Ils iront à Bordeaux, prendre la direction d'une agence....Ce ne sera pas la fortune. Ils ne seront pas présidents-directeurs généraux...;Ils présenterons bien. ils seront bien logés, bien nourris, bien vêtus. Ils n'auront rien à regretter.
Ils auront leur divan Chesterfield, leurs fauteuils de cuir naturel souple ...leurs tables rustiques, leurs lutrins, leurs moquettes, leurs tapis de soie, leurs bibliothèques de chêne clair.
Ils auront les pièces immenses et vides....Ils auront les faïences, les couverts d'argent, les nappes de dentelle, les riches reliures en cuir rouge.
Ils n'auront pas trente ans. Ils auront la vie devant eux. ...
Ils partiront, Ils abandonnerons tout. Ils fuiront. Rien ne saura les retenir. pages 182, 183

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