lundi, avril 27, 2020

HISTOIRE D'UN ALLEMAND DE L'EST ( Maxime LEO)

Maxime Léo, journaliste berlinois, avait vingt ans au moment de la chute du Mur.  D'une plume alerte et captivante; il raconte aujourd'hui l'histoire d'une famille peu commune: la sienne.
Après avoir combattu dans la Résistance française, son grand-père a contribué à la fondation de la RDA. sa mère a cru en l'avenir du jeune Etat communiste, tandis que son père rêvait déjà de la voir disparaître.
La force de ce document exceptionnel réside dans l'intelligence avec laquelle le jeune Maxim Léo organise ce récit qui englobe une soixantaine d'années. son talent de narrateur rend ce témoignage et ses protagonistes inoubliables. 
Histoire d'un Allemand de l'Est ne permet pas seulement de comprendre vraiment ce que fut ma RDA mais éclaire aussi les contradictions de l'Allemagne actuelle. 


Je suis le petit bourgeois de la famille. Cela tient avant tout au fait que mes parents ne l'ont jamais été. page11

J'ignore comment tout cela est arrivé, comment l'homme de l'Est a disparu en moi. Comment je suis devenu un habitant de l'Ouest. C'est certainement le fruit d'un processus rampant, analogue à ces maladies tropicales hautement contagieuses qui mettent des années  à se propager dans le corps sans se faire remarquer et finissent par prendre le pouvoir. Les temps nouveaux ont transformé ma rue; ils m'ont changé , moi aussi. je n'ai aps eu à me déplacer: c'est l'Ouest qui est venu à moi. Il a fait ma conquête à domicile, dans mon environnement familier. Il m'a facilité le départ dans une nouvelle vie. j'ai une épouse qui vient de France et deux enfants qui ignorent totalement qu'il y a a eu un jour un mur à Berlin.  J'ai un emploi bien payé dans un journal et mon souci principal est de savoir si nous devons poser du parquet ou du carrelage dans notre cuisine. page 15

Mais en vérité, l'Est est à deux pas. Il s'accroche à moi...Me^me dasns ma petite famille, l'ESt est toujours présent.je le sens chaque fois que je rends visite à Wolf (son père) qui vit à quelques rues de là dans une mansarde qui fut jadis son atelier.  page 17

J'ai toujours été ravi qu'Anne (sa mère) vienne de l'Ouest. cela lui donnait un côté singulier - qui était aussi le mien.  Enfant, il m'arrivait de vider son sac et de regarder tout ce qui s'y trouvait page 23

Le premier poste d'Anne est au service politique. la plupart des textes qu'on y publie sont des proclamations du parti  transmises par l'agence de presse ADN et qu'on n'a plus qu'à mettre en pages.  Aucune des proclamations ne peut être coupée, ni subir quelques modification que ce soit.  Même les fautes d'orthographe sont laissées telles quelles, Personne n'osant passer un coup de téléphone au Comité central pour une chose pareille. Anne note que la plupart des chefs ne sont pas de vrais journalistes ,mais des membres du parti en service commandé. page 41

Anne dit qu'elle aurait dû renoncer au métier de ses rêves. Parce qu'elle aurait pu comprendre qu'en RDA, le journalisme sans mensonges n'existerait jamais.  Mais elle n'en était paps là à cette époque. page 44

La première dispute entre Anne et Wolf éclate à propos des gens qui quittent la RDA illégalement. ont-ils des traîtres , devraient-ils être punis?  Anne trouve qu'il faut défendre la frontière..page 57

Après les cours, Wolf part avec ses copains pour Berlin-Ouest, ils entrent en resquillant dans les cinémas proches de la frontière, regardent des westerns, et chapardent du chocolat et des bonbons. L'ouest est coloré et passionnant . Il sent le café et le chewing-gum. Les soldats américains qui leur offrent parfois en douce sont aussi décontractés que les cows-boys dans les films . Rien à voir avec les policiers est-allemands qui surveillent les points de passage de la frontière dans leur uniforme mal taillé. page 69

Mes deux grands-pères ne se sont jamais connus. je ne sais pas s'ils auraient eu quelque chose à se dire s'ils 'étaient rencontrés. Ils ont , certes, construit le même Etat, ont été membres du même parti, ont peut-être partagé à un moment les mêmes convictions. Et pourtant, ils seraient vraisemblablement restés deux étrangers...page 86

Le 30 janvier 1933, Hitler est nommé chancelier du Reich. Quelques jours plus tard, déjà, quelques élèves de la classe de Gerhard (un des grands-pères) portent des  chemises brunes et des brassards à croix gammée.Sur le chemin de retour, l'un des es condisciples explique avec une certaine gêne à Gerhard,  qu'il n'a désormais plus le droit de jouer avec lui.  parce que Gerhard n'est pas de race pure.  " C'est vrai, ta mère est aryenne mais ton père est juif"..  page 91

Au bout de quelques mois, la situation change en Allemagne. " On peut dire ce qu'on veut  de Hitler , il crée des emplois, note Werner. beaucoup changent de point de vue et d'opinion politique" Il ne dit pas qu'il est de ceux-là. ..A partir de 1935, il obtient même un vrai contrat de travail. Il touche un "salaire très correct". page 158

J'ai demandé à Sigrid ce qu'il savaient su à l'époque des crimes nazis. Elle a dû réfléchir un peu. " Nous ne nous sommes pas souciés" dit-elle.  page 163

Je crois que pour mes deux grands-pères, la RDA était une sorte de pays de rêve où ils ont pu oublier tout ce qui les avait accablés jusque là. La persécution, la guerre, la captivité, toutes ces choses effroyables que Gerhard et Werner ont vécues, pouvaient être enterrées sous le gigantesque tumulus du passé. Désormais, seul, l'avenir comptait. page 199

Un jour du mois de novembre 1982, la directrice de notre école, Mme Reichenbach, arriva en trombe dans le vestiaire....Nous annonça les larmes aux yeux, : " Il s'est passé quelque chose de très grave. Leonid Brejnev, le secrétaire général soviétique, est mort".  le silence régna un moment. page 207

Je sais , aujourd'hui, à quel point Anne ( sa mère) a souffert chaque fois qu'elle a courbé l'échine ou accepté des compromis: elle se sentait liée  à la RDA, elle voulait que les choses bougent.  page 214
La RDA, c'était les interdictions, les règles idiotes, les banderolles rouges..page 215

En octobre 1988, Anne rend visite à ses parents en compagnie de Wolf pour la première fois depuis longtemps. l'ambiance est aimable et réservée; ils ne veulent pas se quereller. Mais l'orage finit tout de même par éclater; Gerhard dit qu' il apprécie ce qui se passe à ce moment-là en Union soviétique, que la glasnost et la perestroïka seraient aussi nécessaires pour la RDA. Sur ce, Wolf demande où en sont la glasnost et la perestroïka au sein de la famille. Tous les vieux conflits remontent en même temps à la surface.  page 272
Les gens sont de plus en plus nombreux à filer à l'Ouest. c'est ainsi que je m'installe dans mon premier appartement abandonné par une amie danseuse à l'Opéra-Comique qui n'est jamais revenue d'une tournée à Berlin-Ouest. page 273

Je voiq à la télévision des images des manifestations du lundi à Leipzig. Berlin est encore assez calme. La rumeur annonce la première grande manifestation berlinoise pour le 7 octobre., date du quarantième anniversaire de la RDA. page 275

Le soir du 7 novembre, je regarde l'émission Tagesthemen avec  Christine; l'animateur, Hajo Friedrichs, dit que les portes du mur de Berlin sont ouvertes. ...Nous descendons dans la rue.;nous  nous rendons à Check Point Charlie; Nous n'avons pas besoin de beaucoup nous rapprocher pour comprendre que le Mur est ouvert. Les gens crient de joie,Une femme pleure à côté de moi.Elle dit qu'elle avait vingt ans quand on l'a construit. ...Nous franchissons la ligne blanche qui sépare l'Est de l'Ouest...page 290

Dans les premiers temps qui suivirent la chute du Mur, Anne aurait donné beaucoup pour pouvoir rester chez elle....Anne dit que cette journée a été l'une des plus effroyables de son existence. Elle voyait tous ces gens, ces visages heureux, et elle sentait que quelque chose qui n'avait vraiment jamais commencé était en train de s'achever. Les réformes, la troisième voie, tout cela n'avait été que rêveries. Lorsqu'elle eut fait quelques centaines de mètres à l'Ouest, elle constata qu'elle ne pouvait plus parler. seul, un léger croassement sortait de sa gorge. L'événement l'avait littéralement laissée sans voix;  page 295

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