mardi, septembre 22, 2020

IMPOSSIBLE ( Erri De Luca) 2020

 On part en montagne pour éprouver la solitude, pour se sentir minuscule face à l'immensité de la nature. Nombreux sont les imprévus qui peuvent se présenter, d'une rencontre avec un cerf au franchissement d'une forêt déracinée par le vent.

Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme donne l'alerte. or, ce ne sont pas des inconnus.. Compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier avait livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Rencontre improbable, impossible coïncidence surtout, pour le magistrat chargé de l'affaire, qui tente de faire avouer au suspect un meurtre prémédité.

Dans un roman d'une grande tension, Erri De Luca reconstitue l'échange entre un jeune juge et un accusé, vieil homme " de la génération la plus poursuivie en justice de l'histoire d'Italie. "  Mais l'interrogatoire se mue lentement en un dialogue et se dessine alors une riche réflexion sur l'engagement, la justice, l'amitié  et la trahison. 

"Souvent, en écoutant tel ou tel récit, je pensais " c'est impossible, cela n'a pas pu se passer comme cela." et puis un an ou deux après, c'était devenu vrai".  Isaac Bashevis Singer.

( A la question du  juge, l'accusé la corrige )  "Dans de telles conditions qu'est - ce qui vous pousse à faire ça? ( à aller dans la montagne) La réponse  est : personne. Nous n'avons pas de commanditaires.  Ils sont inutiles, la montagne est un mobile suffisant.  Drôle de jeu de mots, n'est-ce pas?  La montagne , immobile par nature,  est un mobile. C'est exactement ça: elle attire à elle Chacun a ses propres raisons d'y aller.  La mienne est de tourner le dos à tout, de prendre de la distance.  Je rejette le monde entier derrière moi. je me déplace dans un espace vide et aussi dans un temps vide. Je vois comment était le monde  sans nous, comment il sera après.  Un endroit  qui n'aura pas besoin qu'on le laisse en paix.  Là-haut, je suis un étranger, sans invitation et sans bienvenue. page 20

Un livre d'un alpiniste français  a pour titre: " Les Conquérants de l'inutile". Inutile, cet adjectif a une valeur pour moi. dans la vie économique où tout repose  sur la partie double donner/avoir, sur le profit  et l'utile, aller en montagne, grimper, escalader, est un effort. Il n'est pas utile  et ne cherche pas à l'être. page 21

( le juge) Et la peur? ...- La peur est utile.  C'est d'ailleurs une forme de respect et même de révérence due à l'immensité du lieu qu'on traverse. La crainte est le préliminaire de la concentration. Elle n'entrave pas les mouvements, elle en augmente la précision. page 23

( l'accusé, en prison,  écrit une lettre à Ammoremio, ) Le magistrat qui m'interroge a la moitié de mon âge, il ignore tout de la montagne et des histoires révolutionnaires.  C'est moi qui devrais l'interroger.  Il n'est jamais allé en montagne et il essaie de comprendre  ce que je vais y faire.  Je lui ai répondu qu'on y va  pour rien qui sert à quelque chose.  Car l'inutile est beau.  page 28

Avec toi, j'ai appris le mot amour  et les jours  oeufs de Pâques , chacun avait une surprise  à l'intérieur. ...;Avec toi,  j'ai appris l'amour qui maintient  sa prise et sa durée au-delà des disputes, des différents, des défauts, jusqu'à les aimer aussi.  C'est l'amour pour ton air contrarié, tes explosions et le retour des sourires ensuite. ....Aussi ai-je décidé  que ma définition du mot "amour" c'était toi. page 29;....Ce qui compte pour moi, c'est que les jours aient un sens, avec une proue qui glisse lentement en avant en compagnie du temps. page 31....Pour toi, il n'y a que nous deux qui comptons.  Le reste du monde est si flou qu'il faut mettre des lunettes pour le voir....Pour moi, la liberté n'est pas de pouvoir aller me promener, mais de garder ensemble les mots pour toi et leurs conséquences.. Je te dis que je t'aime et

je le fais continuellement. La liberté c'est de nous garder ensemble là-dedans. Aucune cellule ne peut m'enlever cette liberté. page 34

( Au juge) Une autocritique serait ici un mea culpa et une demande de circonstances atténuantes. Entre vous  et moi, il n'y a rien à atténuer. Vous me gardez  en prison et moi, je m'y adapte. En outre, vous n'êtes pas en âge  d'avoir assisté à ce qui s'est passé à l'époque et je ne vous  tiens pas pour un interlocuteur légitime sur les évènements de ces années-là. page 38....Prendre connaissance  des évènements d'une époque à travers des documents judiciaires, c'est comme étudier les étoiles en regardant leur reflet dans un étang. page 40...Vous pouvez m'enlever  un peu de ma liberté de mouvement, mais pas la liberté  qui est dans mes raisons et mes convictions. page 48

Ammoremio, je vais bien...Je bavarde continuellement avec toi, plus que lorsque nous sommes ensemble et que tu me reproches d'être silencieux. Tu serais étonnée de me voir si bavard là-dedans....Je te décris n'importe quoi des cafards aux verrous. En attendant, mon ouïe s'est développée. page 51 ....Là-dedans, je découvre que j'ai du temps utile à revendre. Je t'ai dit un jour que je n'étais jamais ennuyé  une seule minute dans ma vie. L'ennui est un gaspillage que j'ignore. Un écrivain en avait fait le sujet d'un de ses romans.  Je ne l'ai pas lu, même pas par curiosité de savoir ce que c'est . page 53

Ammoreimio, me voici revenu dans l'intimité des mètres verrouillés. Dehors, il pleut, je le sais par le ruissellement dans la gouttière.  Tu n'as pas fait de latin , moi si. Il existe deux verbes qui signifient demander, l'un sert à demander pour savoir, l'autre à demander pour obtenir. Quand le magistrat insistait avec ses questions, il disait qu'il voulait savoir la vérité.  Ce n'est pas vrai. Il interroge pour obtenir une confirmation de ce qu'il croit déjà savoir. Il n'utilise pas le verbe de la curiosité de celui qui veut s'informer ou connaitre une vérité. Il n'en a pas besoin.  page 63^

Bien sûr, tu étais et tu restes libre de te détacher, mais tu as insisté pour me garder quand même. Maintenant aussi tu me gardes, Entre nous s'applique le verbe "se garder"...;C'est bien de faire l'expérience des "sans" de peu d'importance, comme un café au réveil. page 65.....J'apprends à nouer une relation avec le temps. Je me présente  comme une personne de mon âge. Le temps est là pour toujours et moi aussi, même si mon "pour toujours" est plus bref. Ta présence a mis les jours en file indienne, en route vers les rendez-vous. page 65 Un sujet délicat me vient maintenant à l'esprit.  Tu me demande parfois si je suis jaloux. Je te réponds non. Parce que  ti voglio, bene, je t'aime. Le mot bene , bien change tout. si on l'enlève, il reste: ti voglio, je te veux.  Là oui, on est jaloux. Mais moi, j'ajoute un mot en plus, juste et précis: ti voglio bene. Lors de ma précédente incarcération,, certains camarades de cellule se tourmentaient à l'idée que leur femme, leur fiancée puissent trouver un autre homme....Quand il s'agit de longues séparations laissons faire le temps et non les serments. Tu es une femme au coeur  de la vie.  S'il t'arrive d'éprouver  un désir impérieux  pour un homme, tu l'exprimes et tu le satisfais. J'espère que tu ne tomberas pas amoureuse,, mais bien quand même, je t'aime tant. le bonheur que tu saisis avec un autre, ne m'enlève rien de toi. Tu ne pouvais pas trouver ce bonheur avec moi. page 68

( au juge) Vous vous trompez sur le passé. il ne reste pas intact. Le temps est une lèpre qui le fait tomber  par petits bouts.  page 83  .....Serais-je  incapable, serais-je supérieur? Je ne serais répondre. Il me semble en revanche  que vous vous êtes fixé une tâche au-dessus de vos capacités, en maintenant en examen une personne  plus âgée et plus compétente que vous. je connais les procès , non en tant que téléspectateur de séries policières, mais en tant que membre de la génération la plus  poursuivie en justice de l'histoire d'Italie....page 85.....Le temps de la réclusion ne me pèse pas, car, même là-dedans, il reste mien. page 95

Ammoremio, une autre lettre s'ajoute à celles non expédiées. Je reste en isolement, ainsi il n'y a aucune possibilité de recevoir des visites. Je n'en souhaite pas, pas plus que des lettres. C'est un lieu pour hommes seuls, un couloir de cellules individuelles, de monastère sans prières. Les moines d'ici s'en remettent aux avocats, ce sont eux qui s'occupent des prières.  page 97....Dans une de ses phrases, ont je me souviens mal il ( Leonardo Sciascia, écrivain italien) écrit que la vérité est au fond du puits. Si on  se penche, on voit le reflet de la lune ou du soleil. Mais sin on descend  dans le puits, on ne trouve ni l'un ni l'autre. On trouve la vérité. page 100....ici, c'est un endroit où on oublie le verbe "pouvoir" . Ici, on ne peut presque rien. page 102

( Au juge) L'obsession d'être déclaré important par les autres, ne me concerne pas. page 105 .Je vois la société comme une construction faite de matériaux  de plus en  plus mauvais au fur et à mesure qu'elle progresse vers le haut.  page 130

Ammoremio. Moi, je suis dans le temps et dans le temple de  la patience pure. ...On vit dans une cellule comme des hôtes du temps. page 136

Le juge "  Ces jours-ci, je me suis  de nouveau  promené en montagne......Je découvre que j'aime ça et je vous comprends un peu mieux, vous les alpinistes. Je me concentre mieux  en marchant en montée, je rassemble mes idées. page 139.....L'expérience n'est pas un catalogue de réactions déjà prêtes, elle consiste au contraire à faire confiance à l'improvisation. page 141 ....(le juge) "Pour moi, votre culpabilité est certaine mais impossible à associer à une vérité procédurale". page 149.....Quel effet ça vous fait de retrouver la liberté? - Je suis resté libre. Ma liberté n'est pas à la portée de vos mesures de restriction.  page 153

Ammoreimio. , Je viens de te téléphoner et je n'ai rien pu te dire, à part que j'ai été relaxé.  page 157...il ( le juge) m'a interrogé sur les montagnes. Encore des questions , mais d'une autre nature. Il  utilisait le verbe latin " demander" pour "savoir " et non pour obtenir". Elles sont comme les livres, les montagnes. On ne se baigne pas deux fois dan sla même eau, disait un philosophe grec., on n'escalade pas deux fois la même montagne parce qu'elle est différente comme le lecture de Pinocchio faite à 10 ans puis à cinquante. page 158....Je lui ai parlé du sentiment de la fraternité. Elle est avec la liberté et l'égalité dans la devise de la Révolution française. , mais elle est différente. On se bat pour obtenir ou pour défendre une liberté, une égalité. Pour la fraternité, on ne peut pas. Qu'est-elle donc alors? C'est le sentiment qui réunit les fils d'une communauté , en renforce l'union et produit l'énergie nécessaire pour se battre pour la liberté et l'égalité. ...Elle n'exclut personne. L'ennemi peut aussi faire partie de la fraternité. mais aucun programme ne peut la construire, si elle ne se produit pas toute seule. page 160



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