jeudi, mars 06, 2008

L'INCONNU ME DEVORE ( Xavier Grall)

Mes filles, je vous appelle DIVINES.
Divine, c'était le nom que Saint-Pol-Roux avait donné à son unique enfant.
Que je vous appelle divines, c'est à chacune d'entre vous que j'adresse ces lignes de méditation, de confession.

J'ai tout aimé. Et ma sagesse fut d'aimer follement.
J'ai tout aimé. C'est mon honneur.
J'ai tout aimé. Et j'aurais aimé aller au-delà des êtres.
J'ai tout aimé: hommes, femmes, enfants. Sources, lacs, forêts. Montagnes, plaines, vallées.
J'ai tout aimé: les ports gonflés de rêves. Anvers, Amsterdam, ces grands poumons du Nord.La vibration des drisses, le miaulement des remorqueurs, l'appel des matelots.
Et le galop des cloches dans les beffrois flamands.

J'ai tout aimé: les hâvres de Bretagne à l'abri sous les pins, tandis que dansent les malamocks sur le flux des marées.
Le sel, le soleil ! Et ces voiles qui couraient sur la baie de Concarneau comme des âmes inquiètes, errantes, cherchant le paradis.
J'ai tout aimé. Je me suis rassassié d'amour. Les pistes sont pleines de traces.

J'ai tout aimé ce qu'il est possible d'aimer.
Et si de secrètes larmes ont buriné mes joues, je les bénis tout de même, puisqu'il est dit que ceux-là qui ont pleuré recevront la grâce de la consolation.

J'ai tout aimé ce qu'il est possible d'aimer.
J'ai aimé l'amitié. J'ai aimé l'amour.
Je les ai aimés aussi sauvagement que la mer aime la rive. Comme le vent aime l'arbre. Je ne regrette pas cette avidité tremblante.
J'ai donné. J'ai jeté ma vie , dans les bars et dans les coeurs.
Je fus comme une auberge jamais fermée.
J'ai jeté ma vie dans les rapsodies, les sagas, les ballades.

J'ai aimé les matins et les soirs. Et les arbres. Et les bergeries. Et toutes les demeures humaines.

J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer.
J'ai aimé, j'ai pleuré, j'ai béni.
J'ai aimé le soleil, les chiens humiliés, j'ai aimé mon pays, je me suis battu, j'ai admiré.
Je fus créé et j'ai créé.
J'ai honoré mon père et j'espère que vous honorerez aussi mon pauvre nom, afin que vous vous reliez aux vérités fondamentales de l'humanité.

J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer.
J'ai ri avec le rire de la mer.
J'ai pleuré avec les détresses des oiseaux.
J'ai ragé, j'ai piaffé d'amour sur les chemins.
Salut les hommes, disais-je, salut les seigles, salut les blés, salut les villes.

Après ce livre, peut-être ne ferais-je qu'une bonne chanson.
Je m'en irai à l'Esprit portant mémoire, mes Divines, de toutes les bonnes choses qui sont sur la terre, avec la rime des meilleurs poèmes, avec le soleil de la miséricorde.
Ma vie fut toujours un invisible départ vers autre chose...
Aller loin, loin, loin, loin: telle est la vocation de l'homme.
Je plains les sédentaires de l'esprit. Ils ont fermé leur âme à clé.
Je m'en irai vers le royaume de splendeur, emportant avec moi la souvenance des jours heureux.
Je m'en irai, je me dissoudrai dans l'amour des étoiles et des mondes.

Alors, chanteront les mers, danseront les galaxies, tressailleront les fleuves.
Donner, se donner.
J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. J'ai aimé l'amitié, j'ai aimé l'amour...

sept.1969-juin 1970

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