lundi, octobre 09, 2017

NOVEMBRE (Philippe Le GUILLOU)

 "Et la mort est arrivée en plein cœur de novembre, avec le temps des bourrasques qui dépouillaient les arbres, avec surtout la sauvagerie qui ensanglantait Paris. Dans sa descente vers le trépas,  mon père n'aura pas pu mesurer cette barbarie, le déferlement de la violence guerrière qui, au moment où son existence s'achevait, lui aurait rappelé les heures noires de son enfance, les rafles, les assassinats aveugles de supposés résistants, la pluie de bombes, la destruction de Brest. La mort de mon père, en plein mois noir, à la ligne de fracture de ce novembre historique qui dépasse largement cet événement douloureux et intime, correspond, avec cette plongée  dans les temps et un monde de haute incertitude. Les 13 et 17novembre 2015 m'ont touché comme peu de dates et d'événements  auparavant. Je me sens à jamais orphelin d'une stabilité, d'une espérance  définitivement perdues. "
 
 
Sa vie (celle de son père, 1930-2015) a épousé le mouvement du siècle, le confort grandissant, l'élan constant du progrès, la possession de quelques biens. Il a vite quitté l'inconfort des logements de fonction spartiates pour s'installer dans une belle demeure comme on les construisait alors - parements de granite de l'Ile Grande sur la façade, comme à Bégard, baies lumineuses, vastes pièces, carreaux de marbre et parquets marquetés, rampe de fer forgé, l'esthétique des maisons de 1970 - mais jamais il n'a affiché de contentement insolent, de fierté mesquine, il travaillait beaucoup, il était aimé et bien  noté par ses supérieurs, il gravissait avec aisance tous les échelons de percepteur de bourgades rurales, il était  devenu en mai 1968, à trente-sept ans receveur municipal à Morlaix. page 33
 
Il fallait continuer à vivre, parler et peut-être même à rire sans chavirer dans les pleurs, dans l'expression d'une tristesse qu'il aurait désavoué page 71

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