dimanche, octobre 01, 2017

L'AMANT DE PATAGONIE (Isabelle Autissier)

"1880. Ouchouaya. Patagonie. Orpheline, Emily l'Ecossaise a seize ans. En cette période d'évangélisation du Nouveau Monde, elle est envoyée en Patagonie en tant que "gouvernante" des enfants du Révérend. Elle qui ne sait rien de la vie , découvre la beauté sauvage de la nature , les saisons de froid intense et de soleil lumineux, toute l'âpre splendeur des peuples de la forêt et de l'eau. La si jolie jeune fille, encore innocente, découvre aussi l'amour avec Aneki, un autochtone yamana. Alors, sa vie bascule. Réprouvée, en marge des codes et des lois de la civilisation blanche, Emily fugue, rejoint Aneki et croit vivre une passion de femme libre, jusqu'au drame. 
De la colonisation des terres patagonnes à la mort des croyances ancestrales, des affrontements sanglants entre tribus au charme du dépaysement, le roman d'Isabelle Autissier puise, à la fois aux sources du réel et de la fiction."
 
C'est au révérend que je dois mon seul bonheur de l'époque: apprendre à lire et à écrire page 17
 
Voilà mon pays! Je me sens aussi intimidée qu'excitée à imaginer ce qui m'attend sur cette terre nouvelle. Je ne sais pas seulement combien d'années  j'y passerai. Est-ce vraiment important?  Je l'ai choisie, j'ai voulu y venir,  j'y suis. page 21
 
"Bienvenue , ma chère Emily!"
J'ai du mal à reconnaître dans l'homme qui me tend la main le favori du pasteur Mac Kay...J'ai à peine le temps de balbutier un remerciement qu'il ne s'occupe plus de moi pour entrer en grande conversation avec le capitaine à propos de l'Angleterre... Ces êtres sont affreux ..;Il est difficile de pense que nous avons quelque chose en commun avec cette race misérable. page 33
 
Il me vient la désagréable pensée que si j'avais  mieux connu   cette race, je  n'aurais peut-être pas accepté ce voyage. page 51

La distribution de vêtements est un petit subterfuge  pour les amener au temple et je crois que Dieu me pardonne. page 53

La langue des Yamanas est rauque et gutturale. On a souvent l'impression qu'ils crient ou grondent plus qu'ils ne parlent, ce qui renforce le sentiment  de leur animalité. Mais ils aiment chanter , et là, leur timbre s'adoucit. Ils ont  de grandes capacités de modulations et peuvent tenir des notes très longtemps. page 77

 M. Hyades explique qu'il va s'adonner à l'ethnologie.  "Personne n'a jamais étudié ces peuples par ailleurs bien étranges.  Nous en avons eu quelques spécimens à paris au jardin d'acclimatation l'an passé, des Alakalufs, capturés à Punta Arena, pour être étudiés. Le public  s'est beaucoup diverti et tout un dispositif  recréait leur environnement, avec une hutte de branchages, des armes et des outres de peaux. Personnellement, je n'étais pas très favorable à cette exhibition. Les visiteurs n'étaient là que pour l'envie malsaine de contempler des supposés anthropophages. Finalement, ces pauvres êtres sont morts  en quelques mois de coqueluche ou de pleurésie, ce qui est étrange car le climat de France est plus doux que celui d'ici. pages 88, 89

On ne s'annonce pas chez les Indiens. On soulève la porte de peau, on s'accroupit, chacun poursuit ses occupations, comme pour montrer  qu'on ne dérange nullement. page 94

Le médecin soupire.  "Lors de nos excursions, j'ai croisé maints groupes de Yamanas et d'Alakalufs isolés de tout  qui semblaient plus gais et en meilleure santé que les vôtres. Ces peuples ont survécu ici, sans nous, depuis des centaines d'années avec leur forme de bonheurs et de malheurs. Ils ont une intimité remarquable avec la nature à laquelle ils se sont adaptés. Ils la perdent à notre contact car nous leur offrons  ce qui paraît être la facilité. Je vois les plus vieux des Yamanas, dont on m'a dit qu'ils sont dans cette mission depuis ses débuts, ils ne savent plus construire les pirogues, ni tailler les harpons. S'ils on appris à jardiner, on dirait  que c'est au détriment d'autres notions ancestrales comme si trop de connaissances ne pouvaient se loger à la fois dans leurs têtes. L'idéal, pour nous savants, serait d'avoir des sortes de réserves où des échantillons de  chaque peuple seraient laissés à l'état de nature pour  les étudier mais il est , sans doute, trop tard. page 99

"Vous êtes complétement folle, ma fille. Epouser un sauvage! Croyez-vous que je me rendrais complice d'un égarement pareil? réveillez-vous! Dieu nous a amenés ici pour porter les lumières de la foi, pas pour la fornication -le mot à claquer dans sa bouche- Jamais vous ne formerez un couple chrétien avec cet individu." page 123

Ces peuples vivent là depuis des siècles, en harmonie avec la nature. Je repense à tout ce que disait le Dr Hyades: loin des Européens, les Yamanas sont plus heureux et en meilleure santé. C'est moi qui vais m'échapper. je vais vivre avec eux et les aider à garder leur vie sauvage. Cette idée est si simple que je m'en veux de ne pas y avoir pensé plus tôt.  Cette voie lisse et claire me redonne goût aux choses.page 133

Le plus dur reste à faire: ouvrir la fenêtre...J'atterris sur le sol encore mou après la fonte des neiges. page 137

Il nous faut souvent les trois quarts de la journée pour  attraper nos repas. L'Indien ne prévoit pas, n'entasse pas, ne conserve pas.  Si la chasse a été bonne et que cela suffit pour deux ou trois jours, nous passons de longs moments d'oisiveté dans la tiédeur du soleil, allongés comme des lézards...page 156

Je ne suis plus la Blanche, qui vient faire la charité, je suis comme elles. Ensemble, nous parlons de nos hommes, des progrès des nourrissons, des craintes de la famine et des accidents. Elles ont beaucoup de curiosité sur mon ancienne manière de vivre...page 185

Tu ne comprends pas! Les Blancs ne partiront jamais, ils viendront de plus en plus nombreux parce qu'ils aiment la terre et la mer d 'ici et qu'il trouvent de quoi remplir leurs bateaux et leurs maisons en pierre. Ils ont le cœur fait pour prendre et s'ils s'en vont un jour d'ici, c'est qu'il n'y aura plus un oiseau dans le ciel ni un poisson dans la mer. je les ai vus et j'ai compris. Quand ils n'ont plus faim, ils chassent encore, quand ils ont trop, ils ne donnent pas  à ceux qui n'ont rien. Ils ne sont jamais en repos. Pourquoi sont-ils venus ici puisqu'ils disent  qu'ils ont des terres, des plantes et des bêtes d'où ils viennent? Ils prétendent que leur Dieu leur a commandé. page 190 (Cushi, la grand'mère de Aneki)
 
"Le Seigneur a éclairé John et j'ai accepté sa proposition charitable. Vous l'épouserez à la fin d ela semaine et vous partirez vous établir avec lui à Itulia. " (le pasteur à Emily, après le décès de Aneki et son retour chez les Ecossais, enceinte.) page 214

(Sa première nuit de noces) A travers la toile, des mains s'affolent et me pétrissent. John m'a demandé de passer la chemise de nuit de mariée que Dorothy m'a confectionnée hâtivement, une sorte de sac qui ne laisse passer que mes pieds, mes mains et mon visage., avec une fente à l'endroit du sexe. Il y voit un signe de chasteté, réservant l'union charnelle à la procréation. page 220.
 
Plus un Indien ne va à la chasse., on dirait qu'ils ne savent plus. Ils se contentent de mendier des petits travaux et  l'alcool les affaiblit. J'ai évalué qu'en quinze ans, la population yamana a perdu un tiers de ses effectifs. Ce peuple disparaît avec ses coutumes, sa langue. Chez les Onas, c'est encore pire. Tout le Nord de la Terre de Feu est donné aux éleveurs. Ils chassent les Indiens quand ils chapardent des moutons...Le croiras-tu? Certains paient des tueurs qui doivent prouver leurs forfaits en ramenant les oreilles. Une livre par paire! Tu te rends compte? Des oreilles humaines...page 229
 
J'ai abandonné mes chimères d'être yekamush et même yamana. Marcher, être uniquement attentive au crissement de mes pas, au toc-toc d'un pivert, à une mare que je devine sous les herbes par son odeur fade, tout cela focalise mes pensées. Il me semble que mon âme soit ainsi au repos, en profite pour cicatriser de vieilles blessures. page 271
 
 
j'ai rêve que les Indiens m'en donnent les clés (du bonheur), qu'à travers le partage de leur science atavique, je puisse faire corps, moi aussi , avec ces paysages. J'ai cru y réussir parfois dans ces éclats de prescience où je me croyais yelamush. j'ai pensé qu'en suivant Aneki, je changerais ma nature profonde, j'effacerais toute trace de mon éducation, comme s'il suffisait de se dénuder et de peindre le corps pour devenir Yamana. Page 292
 

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