vendredi, mai 31, 2019

BREXIT, L'AUTOPSIE D'UNE ILLUSiON ( Alex Taylor) 2019

-" On vient de l'apprendre, Alex Taylor, c'est officiel, votre pays quitte l'Union européenne"
Il es 7 h17, le 24 juin 2016. J'apprends la nouvelle en direct sur un plateau de télévision. Le Brexit m'arrache une partie de mon identité. Je choisis mon camp: je veux devenir Français.
 
Qui mieux qu'Alex Taylor, citoyen britannique s'il en est, britannique d'origine ayant fait sa carrière et sa vie  on the continent, pour  dévoiler les vraies causes, souvent mal comprises, du Brexit? C'est un livre personnel, teinté d'humour et de nostalgie, un plaidoyer vibrant, rempli de tendresse, pour cette Europe en laquelle il croit plus que jamais.
 
 
Le Brexit m'a touché au plus profond de moi-même. It's personal. Je suis né en 1957, avec la signature du traité de Rome. Mon adolescence coïncide avec l'entrée tardive de mon pays dans le club. Ma vie a été infiniment plus riche en raison de cette idée loufoque de réconcilier ce bric-à-brac de pays ayant passé une bonne partie du siècle à se massacrer.
Je viens d'un milieu plutôt modeste, et surtout d'un pays qui était dans les années 1970 l'homme malade du continent. La Grande Bretagne obligée de demander des emprunts au FMI, frappait à la porte pendant dix  longues années, quémandant  de pouvoir rentrer. Cinq ans après , j'arrive en France, laissant derrière moi the winter of discontent - ( hiver 1978-1979).Le Royaume-Uni était au bord du collapse,  en faillite, criblé par d'interminables grèves. Des poubelles, voire des cadavres, pourrissaient dans les rues...Page 9
J'étais très content de venir chercher du travail dans un autre pays où j'avais  plus ou moins les mêmes droits que les ressortissants. ...Personne  ne m'a jamais fait sentir que je n'avais pas le droit d'être ici, un Européen vivant avec d'autres Européens , en plein cœur de l'Europe. page 10

En votant le Brexit, mes compatriotes m'ont enlevé, du jour au lendemain, une partie essentielle de mon identité. page 12
En trois semaines, je rassemble formulaires, traductions assermentées, fiches de loyer et de paie. Je passe les tests  de niveau de français. J'apprends les innombrables noms des rois de France pour l'entretien d'assimilation. Dix-huit mois après, je suis le fier détenteur d'une nouvelle carte d 'identité de cette magnifique République qui m'avait accueilli quarante ans auparavant. page 13

Nous habitions un monde où tout tournait plutôt autour du verbe" avoir". ...Aujourd'hui, le verbe être semble avoir pris sa place. Le Brexit  n'est autre chose qu'une crise d'identité qui prend la forme d'un monologue. " Tribu ou pas tribu? That is the question. page 15
 
Le Brexit n'est autre que ce gros éclat de colère, point culminant d'une crise identitaire qui couve depuis la Seconde Guerre mondiale. page  30
 
 
Beaucoup de Français, notamment mes confrères, confondent anglais et britannique. Quelles sont au juste "Les Iles" britanniques? Il n'y a pas qu'une. En tout, ce sont plus de six mille, deux grandes et une multitude de petites. ...Ensemble, avec la Grande Bretagne, ce sont les "British Iles".
..."Britannique" correspond aux deux îles donc, mais, hors de ce  contexte géographique, l'adjectif British s'applique à la Grande Bretagne plus l'Irlande du Nord. Les deux se trouvent réunies sous une seule entité administrative:  le Royaume Uni.  pages 35, 36
Les Unionistes de l'Ulster sont plus royalistes que la Reine, plus british que les Britanniques.
...Autre signe de cette crise identitaire, les Britanniques ont de plus en plus de mal avec les autres drapeaux de notre "union précieuse". page 39
 
53% des Anglais ont voté le Brexit, 60% dans certaines régions. Un sondage début 2013 montre que 35% des habitants de l'Angleterre se sentent plus anglais que britanniques et leur nombre ne cesse de grimper. ...Près de la moitié des Anglais veulent un parlement anglais, même si aucun député ou représentant ne fait campagne pour le réclamer.  C'est un thème largement absent des médias.
L'Angleterre n'a pas d'hymne. Peu d'Anglais connaissent le jour de la fête nationale, le jour de ce  même saint George ( le 23 avril). page 42
 
Les mots ont de l'importance. N'oublions pas qu'il y a le mot "Great" dans Great Britain. Il y a tout de même peu de pays au monde qui s'autorisent un tel compliment.  page 44
 
Je suis né à Luton, au nord de Londres. A la fin des  années 1950, le "smog" emmitouflait encore la capitale et ses environs. Mes parents anglais ont "émigré"  vers l'extrême sud-ouest du pays afin d'offrir un air plus pur à leur seul et unique fils, né avec quelques faiblesses pulmonaires. Plus exactement en Cornouaille ou les Cornouailles, puisque les Français hésitent. Cornwall en tout cas; le pays des mouettes et des goélands. page 46
 
Les Britanniques n'ont pas de pièce d'identité. Inimaginable ailleurs. Les raisons de cette absence remontent au cœur de la conception qu'ils ont de leur "contrat" avec la nation...Difficile d'avoir "des sans-papiers" , lorsqu'il n'y a pas de papiers à avoir.
Cette absence de papiers d'identité, incompréhensible et souvent ignorée de ce côté de la Manche,  rend le refus britannique d'appartenir à Schengen, même  quand ils étaient dans l'Union européenne, plus compréhensible. page 53
Cette absence de papiers est l'une des motivations des Africains à Calais voulant se rendre en Grande-Bretagne. Une fois sur le sol britannique, les contrôles d'identité n'existent pas. page 54
Comment expliquer sinon qu'il s'agit de l'un des pays rarissimes au monde, avec l'Arabie saoudite, à ne pas avoir une constitution écrite? On  fait parce qu'on a fait. On est parce qu'on était. page 55
L'une des conséquences de cet absence de papiers est que les Britanniques ne sont pas tenus de prouver leur identité dans cet acte de citoyenneté fondamental: voter. page 62
 
Il est évident que l'expérience des deux Guerres mondiales est radicalement différente en  Grande- Bretagne que sur le reste du continent. page 67
La Grande-Bretagne a de plus en plus de mal  à savoir quelle est sa place dans le monde, quelque part entre la nostalgie des grandeurs d'antan et un refus d'accepter un rôle plus modeste. Le ministre danois des Finances, Kristian  Jensen, a pointé ce dilemme, énervant bon nombre de Brexitteurs...:" il y a deux sortes de nations européennes aujourd'hui, affirme-t-il. Les petites et celles qui ne se sont pas rendu compte qu'elles son petites". page 72
 
La "remembrance" à l'égard de la Première Guerre mondiale est bien différente des souvenirs de celle d'après....Le symbole de cet acte, de ce processus du souvenir est le poppy. Le coquelicot est l'équivalent du bleuet en France. Les ressemblances s'arrêtent là....Une usine  dédiée à Londres fabrique, chaque année,  quelque 30 millions de poppies. En 2014, la douve de la Tour de Londres, dans une exposition spectaculaire, fut entièrement couverte de 888243 coquelicots en céramique, le nombre recensé de soldats britanniques tués entre 1914 et 1918. pages 77, 78
 
J'ai fait des revues de presse européenne pendant plus de trente ans. je peux affirmer, sans retenue , que la presse britannique, tout en étant parfois la plus exigeante, est également de loin, la plus odieuse du continent. ..;Pour comprendre leur portée, ( The Sun, The Mail  soutenaient le Brexit), il  faut savoir que ce message est passé non seulement pendant la campagne du référendum, mais depuis des décennies déjà. page 103
Selon une étude de la Loughborough University, 82% des articles parus dans la presse britannique pendant la campagne du référendum avaient un ton négatif à l'égard de l'Union européenne.  page 104
La réputation de la presse britannique prend un sacré coup lorsque l'on apprend, par exemple, que Reporters sans Frontières l'a rangée derrière l'Uruguay, Samoa et le Chili en raison des restrictions sur les reporters. page 112
 
Le Brexit a été remporté par ceux de ma génération pour qui l'histoire était plutôt une mythologie qu'un vrai sujet d'étude. page 123
 
Si les Britanniques connaissent une version parfois  romancée de leur rôle  dans "les Grandes Guerres", ils en savent énormément peu sur leur propre Empire, si ce n'est une certaine mélancolie nostalgique. Je ne me souviens d'aucun cours à l'école sur la colonisation. Je revois vaguement une carte du monde dans ma salle de classe dans les années 1960....
Rien en revanche dans notre programme scolaire sur la moindre guerre ou atrocité, les exploitations, les famines  à l'époque de l'Empire. page 127
 
A bien des égards, la Grande-Bretagne est incontestablement un pays davantage tourné vers le reste du monde que vers les côtes juste en face. Tous connaissent la phrase de Churchill: " A choisir entre l'Europe et l'Atlantique, la Grande-Bretagne choisira toujours le grand large.  La question , avec le Brexit,  est de savoir si, dans le monde tel qu'il se dessine, à choisir entre la passé et l'avenir, la Grande-Bretagne opérera pour l'illusion ou la réalité. page 133
 
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques manquaient singulièrement de main-d'œuvre. On demanda à des Antillais de venir les aider dans la reconstruction du pays. Le Windrush était le premier navire qui transporta la nouvelle main-d'œuvre vers la Mère Patrie. Il y a des images poignantes de ces hommes, de ces femmes qui débarquent vers une nouvelle vie, une valise et parfois, un ou deux enfants à la main. Tous sont remplis d'espoir, de frissons aussi sous la pluie du port de Southampton. On ne leur a jamais donné de papiers, ni aux premiers arrivés, ni à leurs enfants nés après. En 1970, le ministère les rassure: ils seront considérés à tout jamais comme Britanniques à part entière.  En 2010, la ministre de l'Intérieur, une certaine Mrs May, décide de créer une ambiance "hostile à l'immigration illégale". Dans l'impossibilité de produire des  papiers qu'on ne leur avait jamais donnés, des centaines d'entre eux ainsi que leurs descendants furent licenciés, voire parfois expulsés du pays....Page 143
Le racisme s'exprime beaucoup plus facilement à l'égard des Européens vivant depuis peu dans le pays. Les actes de violence à leur égard se sont multipliés depuis le référendum. page 145
Au moment du Brexit, il y avait un nombre estimé à 3,5 millions de ressortissants européens au Royaume-Uni. "Estimé" car personne n'a jamais entrepris de les compter. page 146
Les raisons du Brexit, loin d'être un rejet massif du projet européen, c'est plutôt l'aboutissement d'une vaste crise d'identité sous forme de dialogue interne. L'Europe, si mal connue sur place, n'a été que le miroir déformant dans lequel les Britanniques se sont vus.  Comme ils ne se sont pas reconnus, ils ont poussé un tonitruant" go away" collectif. page 151
 
Le Brexit a eu des conséquences les plus inattendues. J'ai récemment fait un reportage sur un sujet les plis poignants. Il s'agit de britanniques d'origine juive qui, depuis le référendum ont demandé la nationalité allemande. Des dizaines de milliers de Juifs ont fui les nazis, juste avant le déclenchement de la guerre, pour s'installer en Grande- Bretagne, notamment avec les Kindertransport.
Une clause de l'article 116 de la Constitution allemande, prévoit que l'on peut demander la nationalité allemande, pour soi et ses propres descendants, si celle-ci fut révoquée "pour des raisons politiques, religieuses ou raciales". Voulant garder leur citoyenneté européenne, 1667 personnes  en 2017, 1229 en 2018 page 164
 
La France a attendu longtemps des moments clés comme le procès Barbie pour lancer un vrai débat sur la place publique....IL fallait du temps pour admettre que les Français n'avaient été ni plus glorieux ni plus lâches que les autres.
Les pays voisins ont surtout regardé avec un certain étonnement, voire admiration, la façon dont la vie politique française a pu être marquée dans l'après-guerre par un seul homme. Le général Eidenhower notamment  a compris beaucoup mieux que Roosevelt, qu'il valait mieux s'associer à un héros du peuple que d'essayer de lui imposer celui de son choix. Le général De Gaulle était la personne idoine pour incarner " the next step"
Churchill est passé à la postérité comme héros de la guerre . De Gaulle y passera comme acteur d'après-guerre.
Par la simple force de sa personnalité, De Gaulle a réussi à imposer sa lecture de l'histoire à une France qui n'avait nullement besoin d'en chercher, voire d'en inventer une autre. SA vision était celle qu'il fallait pour propulser le renouveau industriel du pays....Les Allemands et les Britanniques se cantonnent jusqu'à aujourd'hui à leurs rôles respectifs de vainqueur et de vaincu.  pages 170, 171
 
" Nous avons fait l'Italie, reste à faire les Italiens" affirma Massimo d'Azeglio, l'un des Pères de cette nation au moment de sa création  en 1861.  Nous avons fait l'Europe en 1957, les "Européens" eux, semblent toujours aux abonnés absents. page 175
 
Aujourd'hui, l'Europe ouvre ses frontières comme jamais auparavant. Le Brexit remonte hélas le pont - levis sur la forteresse. Les prémices de ce divorce entre la Grande Bretagne et l'Europe furent jetés avant même la signature du traité de Rome. La Grande  Bretagne envoya tardivement, à la conférence de Messine en  1955, le sous-secrétaire de la Commission pour le commerce, Russell  Bretherton......(il a dit) : " Le traité dont vous discutez n'a  aucune chance d'aboutir. Si jamais il est validé, il sera totalement inacceptable pour les Britanniques..." page 188
Albert camus, dans un discours peu connu, parle mieux que quiconque de la trame de l'histoire qui se déroulera pendant plus d'un demi-siècle. En 1950, déjà l'écrivain avertit en quelque sorte contre le Brexit: " Votre pays aura droit à une reconnaissance encore plus grande de la part des hommes libres, lorsque vos vertus ne se  réalisent plus dans l'isolement. L'Europe  a  besoin de la Grande-Bretagne. Aussi misérable que soit l'état du continent aujourd'hui, la Grande- Bretagne ne trouvera guère son salut hors de l'Europe. ...Pour le meilleur et pour le pire, les destins de l'Europe et de la Grande- Bretagne sont liés. le mariage est nécessaire mais ne se fait pas dans la joie.  Comme le nôtre n'est guère réjouissant, tâchons au moins qu'il soit durable. le divorce est hors de question." pages 189, 190

Mrs May m'a définitivement perdu le jour où elle affirmait , froidement : "  Si vous pensez être citoyen du monde, c'est que vous êtes citoyen de nulle part. Vous ne comprenez pas ce que veut dire la citoyenneté". page 201

Qu'ils inventent un passeport et une vraie citoyenneté européenne!  on ne peut continuer à reproduire aux Européens de ne pas se sentir européens si on leur refuse la moindre possibilité de s'identifier comme tels.  page 202
Donald Tusk, le Président du Conseil européen: " l'enfer réservera un lieu particulier à ceux qui ont oeuvré pour le Brexit sans songer un seul instant comment le mettre en oeuvre".  page 204

Le Brexit peut faire du bien de part et d'autre. Il peut permettre aux Britanniques de trancher une bonne fois pour toutes avec cette crise identitaire qui les poursuit depuis la fin de la guerre. ...Le Brexit peut également permettre à une Europe plus réunie, dépourvue de ses principaux râleurs , de forger  un nouveau rôle dans un monde où il fait encore plus froid que jamais. page 206
 
Un sondage paru en 2012, expliquait que l'appartenance à l'Union européenne était le dernier des soucis des Britanniques.
La marge entre Leave et Remain était des plus réduites. Un  référendum plus démocratique aurait sans  doute donné un résultat différent. Pourquoi n'a-t-on pas laissé voter les jeunes concernés au plus haut point par ce choix fondamental?  Deux ans auparavant , les 16-18 ans avaient bel et bien le droit de voter sur l'indépendance de l'Ecosse. Là, tout d'un coup, ils n'étaient plus assez mûrs pour décoder d'un avenir pourtant plus large?  Un pays " normal" n'aurait pas privé non plus de vote un million de Britanniques échoués sur le continent, concernés au premier chef par ce référendum qui - qui nous - arrache droits et certitudes. Si ces deux catégories avaient pu voter, le résultat aurait été différent.   page 207
 
 

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