jeudi, juillet 11, 2013

COMMENT J'AI CESSE D'ETRE JUIF ( Shlomo Sand)

Shlomo Sand  est professeur d'histoire contemporaine à l'université de Tel-Aviv. Il a publié ce livre d'une centaine de pages en avril 2013 après avoir publié en 2012 "Comment la terre d'Israël fut inventée".

En ce début du XXI è siècle, à la lecture de journaux, de revues ou de livres, je ne pense pas qu'il soit exagéré d'affirmer que les juifs sont trop souvent présentés comme porteurs de traits de caractères ou de cellules cérébrales particulières et héréditaires qui les distingueraient  de tous les autres humains...De même qu'il est impossible à un Africain de se dépouiller de sa peau, un juif ne pourrait pas renoncer à son essence. page 11

Ma mère fut identifiée comme juive en arrivant en Israël à la fin de 1948, et la mention "juif" fut inscrite sur ma carte d'identité...D'après les lois de l'état d'Israël, tout comme selon la loi juive,  je ne puis cesser d'être juif. page 13

...Rejet absolu du principe  d'une nationalité israélienne  pour n'admettre qu'une nationalité juive. Cette nationalité juive ne peut être acquise que par la seule voie, quasiment inaccessible, d'un acte religieux: toute personne  désireuse de  voir Israël comme son état national doit être née  de mère juive. page 15

Aucun politicien ne peut de nos jours tenir publiquement des propos antijuifs, sauf peut-être en quelques lieux d'Europe centrale ou de la nouvelle sphère islamo-nationaliste.  Aucun organe de presse sérieux ne distillera  des balivernes antisémites, aucune maison d'édition respectable ne publiera un écrivain aussi brillant soit-il, qui ferait l'apologie  de la haine à l'encontre des juifs. Aucune station de radio ou de télévision, publique ou privée, ne laissera  un commentateur  hostile aux juifs  s'exprimer ou paraître à l'écran. Et s'il arrive que des propos diffamatoires à l'encontre des juifs s'insinuent dans les médias, ils sont rapidement et efficacement réprimés. page 18

La différence majeure entre identité religieuse et identité nationale réside dans le concept de souveraineté: pour le fidèle religieux "authentique", le souverain se situe toujours à l'extérieur de son identité personnelle tandis que chez le fidèle de la nationalité, le sentiment de souveraineté en est la partie intégrante. Face à l'ancien Seigneur et Maître de l'univers, la nation, érigée  en maîtresse de ses actions et responsable de ses actes, est ainsi devenue le principal objet de révérence. page 27

...Le juif est juif pour toujours, mais pas du fait des pratiques et des normes cultuelles auxquelles il se soumet, il est perçu comme juif, non pas par ce qu'il fait, par ce qu'il crée, par ce qu'il pense ou dit, mais à cause d'une essence éternelle, inhérente à sa personnalité spécifique et mystérieuse ( des scientifiques sionistes y ajouteront la génétique). page 28

A l'origine, on trouve une croyance  divine monothéiste qu'il est encore difficile  de définir comme juive et qu'il serait plus  exact de qualifier de yahviste. Elle avait commencé à prendre forme au Vè siècle avant J.C., probablement , quelque temps après que l'élite politique et cléricale de Jérusalem fut exilée à Babylone. page 44

La judéité, en tant qu'antithèse  de l'identité chrétienne, remplissait efficacement  cette fonction. Il y avait, certes, des différences: la judéophobie se donnait plus libre cours à Paris  qu'à Londres, à Berlin qu'à Paris, à Vienne qu'à Berlin et à Budapest, Varsovie, Kiev ou Minsk plus qu'en Occident . (De 1850 à 1950)

A la différence  d'autres communautés juives dans le monde, la population juive  d'Europe de l'Est avait conservé des modes de vie et de culture absolument distincts de ceux de leurs voisins. page 54

Plus on creuse la question, plus on reconnaît qu'il n'existe  pas de bagage culturel juif autre que religieux. page 72

Pour justifier la colonisation en Palestine, le sionisme a invoqué la Bible, présentée comme un titre de propriété juridique sur terre. page 73

Le service militaire obligatoire a été tout aussi important. parallèlement à l'enseignement, il a constitué un puissant creuset d'identité et de cultures originales. page 76

Il m'arriva assez souvent, en diverses circonstances - dîners en ville, cours à l'université, discussions ponctuelles -  de demander : " Combien de personnes les nazis  ont-ils assassinées, dans les camps de concentration et d'extermination, et par les autres massacres non-conventionnels qu'ils ont perpétrés?" La même réponse tombait sans exception: six millions.  Lorsque je soulignais que ma question portait sur le nombre de personnes en général,  et pas seulement sur le nombre de juifs, mes interlocuteurs marquaient leur surprise, et il était rare que quelqu'un connût la réponse.Tout spectateur de Nuit et Brouillard...réalisé dans les années 1950, pourrait répondre onze millions de morts. mais ce nombre des victimes  "non conventionnelles" est effacé du disque dur  de la mémoire collective occidentale....L'essentiel est de savoir pourquoi le  nombre "total" a complètement disparu, et comment  seul , subsiste et est entretenu , le nombre "juif". pages 83, 84

Dans un film français de neuf heures, Shoah...on laisse le spectateur dans l'ignorance  que cinq millions de Polonais  y ont été assassinés: deux millions et demi d'origine juive et deux millions et demi de catholiques. Que le camp d'Autschwitz ait été construit, à l'origine, pour des prisonniers polonais non-juifs ne méritait pas non plus d'être indiqué dans Shoah. ...Si l'on évoque les proportions, le nombre de Roms (tziganes) assassinés,  sur l'ensemble de leurs communautés,  s'avère très proche de celui des victimes juives; pourtant, ils n 'ont pas droit à une mention dans la Shoah lanzmanienne. pages 86,87

La nouvelle politique sioniste  et pseudo-juive, ...revendiquait la spécificité, l'exclusivité et la propriété nationale totale sur la souffrance. page 90

Il y a pléthore de bourreaux comme Hitler, tandis qu'il n'y a jamais eu de victimes comme les juifs et il  n'y en aura jamais plus. (selon la rhétorique sioniste) page 91

Ce n'est pas un hasard si Abraham Yitzhack Hacoben Hook, principal architecte du processus de nationalisation de la religion juive au XXè siècle,  et premier grand rabbin de la communauté
de colons en Palestine, avant la création de l'état d'Israël, a pu écrire: "La différence entre une âme d'Israël , avec son authenticité, ses souhaits intérieurs son aspiration, sa qualité  et sa vision,  et  l'âme  de tous les non-juifs, à tous les niveaux,  est plus grande et plus profonde que la différence entre l'âme d'un homme et celle d'un animal; parmi ces derniers, il n'y a qu'une différence quantitative, tandis  qu'entre ceux-ci  et les premiers, existe une différence qualitative spécifique ". Les écrits du rabbin Hook servent aujourd'hui encore de guide spirituel à la communauté des colons nationaux religieux installés dans les territoires occupés. page 103

Etre "juif" en Israël, c'est avant tout ne pas être arabe...Le sionisme  avait ...défini les juifs comme un "peuple" d'origine unique...dans l'état laïc en voie d'être créé, le mariage civil fut donc interdit, seules furent consacrées les unions religieuses. Un juif ne peut qu'épouser une juive, le musulman ne pourra épouser qu'une musulmane, et cette loi durement ségrégative s'applique aussi  aux chrétiens et aux druzes. Un couple de juifs sans enfants ne peut adopter un enfant "non-juif" (musulman ou chrétien) qu'en le convertissant à la loi rabbinique. pages 112, 113

Depuis la fin des années 1970 et plus encore  dans les années 1980, on insiste sur le fait  que l'état d'Israël est juif et non pas israélien. Le premier qualificatif  recouvre les juifs du monde entier, le second n'inclut  "que" l'ensemble des citoyens vivant en Israël: musulmans, chrétiens, druzes et juifs sans distinction...L'état s'est de plus en plus judéocentré. page 115

Que signifie donc être "juif" dans l'état d'Israël? Etre juif en Israël signifie être un citoyen privilégié qui jouit de prérogatives refusées  à ceux qui ne sont pas juifs, et particulièrement aux Arabes. Si l'on est juif, on peut s'identifier  à l' Etat qui se dit le reflet de l'essence juive. Si l'on est juif, on peut acheter des terrains alors qu'un citoyen non-juif n'aura pas le droit de les acquérir...Si l'on est juif, on peut être ministre des Affaires étrangères et résider  à titre permanent  dans une colonie située à l'extérieur des frontières juridiques d'Israël, à côté de voisins palestiniens privés de tous droits civiques et dépourvus  de souveraineté sur eux-mêmes. Si l'on est juif, on peut installer des colonies sur des terres qui ne nous appartiennent pas, mais aussi circuler en Judée, en Samarie sur des routes  de contournements, là où les habitants locaux n'ont pas le droit d'aller et de venir librement, à l'intérieur de leur patrie. Si l'on est juif, on ne sera pas arrêté aux barrages, on ne sera pas torturé, personne ne viendra fouiller notre maison en pleine nuit, on ne sera pas pris par erreur  comme cible de tir, on ne verra pas sa maison démolie par erreur...Tous ces actes qui s'accumulent depuis près de quarante ans, ne sont  destinés et réservés qu'aux Arabes. page 122

Supportant mal que les lois israéliennes  m'imposent l'appartenance à une ethnie fictive,  supportant encore plus mal d'apparaître auprès du reste  du monde comme membre  d'un club d'élus,  je souhaite démissionner et cesser de me considérer comme juif...Par mon refus d'être juif, je représente une espèce en voie de disparition. En insistant  sur le fait que seul mon passé historique était juif, que mon présent quotidien est israélien, pour le meilleur et pour le pire, et qu'enfin mon futur et celui de mes enfants, tel qu'en tout cas je le souhaite,, doit être guidé par des principes universels, ouverts et généreux, je sais que je vais à l'encontre  des modes dominantes orientées vers  l'ethnocentrisme...J'ai conscience de vivre dans l'une des sociétés les plus racistes du monde occidental. le racisme est bien sûr omniprésent, mais en Israël, on le trouve dans l'esprit des lois, on l'enseigne dans les écoles, il est diffusé dans les médias...Vivre dans une telle société m'est devenu insupportable mais je l'avoue, il ne m'est pas moins difficile d'habiter ailleurs . je fais partie du produit culturel, linguistique et même mental de l'entreprise sioniste, et je ne peux m'en défaire.  par ma vie quotidienne et ma culture de base, je suis israélien. pages 134, 135

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