lundi, juillet 22, 2013

RACE ET HISTOIRE (Claude Lévi-Strauss)

C'est lors d'une visite de l'exposition " Tous des sauvages" à Daoulas que j'ai acheté ce petit livre d'une centaine de pages. Il fut publié en 1952.

" La diversité des cultures, la place de la civilisation occidentale dans le déroulement historique et le rôle du hasard, la relativité du progrès, tels sont les thèmes majeurs de Race et Histoire. Dans ce texte écrit dans une langue toujours claire et précise, et sans technique exagérée, apparaissent quelques-uns des thèmes majeurs de notre manière contemporaine  de penser l'humanité."

Le péché originel de l'anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement  biologique de race ( à supposer, d'ailleurs, que, sur ce terrain  limité,  cette notion puisse prétendre à l'objectivité  ce que la génétique moderne conteste)  et les productions  sociologiques et psychologiques des cultures humaines. Aussi, quand nous parlons de contributions des races humaines à la civilisation, ne voulons-nous pas dire que les apports culturels de l'Asie ou de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Amérique, tirent une quelconque  originalité du fait que ces continents sont, en gros, peuplés par des habitants de souches raciales différentes. Si cette originalité existe- et la chose n'est pas douteuse- elle tient à des  circonstances géographiques, historiques et sociologiques, non  à des aptitudes distinctes liées  à la constitution anatomique ou physiologique des noirs, des jaunes ou des blancs. ...Il y a beaucoup plus  de cultures humaines que de races humaines, puisque les unes se comptent par milliers et les autres par unités; deux cultures élaborées par des hommes appartenant à la même race peuvent différer, autant ou davantage,  que deux cultures  relevant de groupes racialement éloignés...pages 10, 11
... Et pourtant, il semble que la diversité des cultures soit rarement  apparue aux hommes pour ce qu'elle est: un phénomène naturel, résultant  des rapports directs et indirects entre les sociétés...L'attitude la plus ancienne, et qui repose  sur des fondements psychologiques solides, puisqu'elle tend à apparaître chez chacun de nous, quand nous sommes placés  dans une situation inattendue, consiste à répudier  purement et simplement les formes  culturelles: morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. "Habitudes de sauvages", cela n'est pas de chez nous" , "on ne devrait pas permettre cela" etc..., autant de réactions grossières, qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence  de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères.  Ainsi l'Antiquité  confondait-elle tout ce qui  ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-latine) sous le nom de barbare; la civilisation occidentale  a ensuite utilisé le terme de  sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes, se dissimule un jugement: il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l 'inarticulation des chants d'oiseaux, opposée à la valeur significative du langage humain, et sauvage qui veut dire : "de la forêt", évoque aussi un genre de vie animale, par oppostion à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité culturelle; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. page 19

L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique , parfois même du village; à tel point qu'un grand nombre de populations dites "primitives" se désignent  d'un nom signifiant "les hommes"(ou parois - dirons-nous avec plus de discrétion) les "bons" les "excellents", les "complets", impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus - ou même de la nature - humaine, mais sont out au plus composés de "mauvais", de  "méchants" ,de "singes de la terre " ou d"'oeufs de pou". On va souvent jusqu'à priver  l'étranger  de ce dernier degré de réalité,  en ne faisant un "fantôme" ou une  "apparition". Ainsi se réalisent de curieuses situations où les deux interlocuteurs se donnent cruelle ment la réplique. page 21

Le barbare , c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie...La simple proclamation de l'égalité naturelle entre tous les hommes et de la fraternité qui doit les unir, sans distinction de races et de cultures a quelque chose de décevant pour l'esprit, parce qu'elle néglige une diversité de fait, qui s'impose à l'observation et dont il ne suffit pas de dire qu'elle n'affecte pas le fond du problème pour que l'on soit théoriquement et pratiquement autorisé à faire comme si elle n'existait pas. page 22

Le développement  des connaissances préhistoriques et archéologiques  tend à étaler  dans l'espace des formes de civilisation que nous étions portés  à imaginer comme échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses: d'abord que le "progrès " (si ce terme convient encore pour désigner une réalité bien différente de celle à laquelle on l'avait d'abord appliqué) n'est ni nécessaire, ni continu; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutation. Ces sauts ne consistent pas à aller toujours plus loin  dans la même direction; ils s'accompagnent  de changement d'orientation...
page 38

...C'est ici que nous touchons du doigt à l'absurdité qu'il y a à déclarer une civilisation supérieure à une autre. Car, dans la mesure où elle serait seule, , une culture ne pourrait jamais être "supérieure " à une autre....Mais aucune culture n'est seule; elle est toujours donnée en coalition avec d'autres, et c'est cela qui lui permet d'édifier des  séries cumulatives...Page 70

Une civilisation est fonction du nombre de cultures avec lesquelles elle participe à l'élaboration - le plus souvent involontaire - d'une commune stratégie. L'Europe du début de la Renaissance était le lieu de fusion et de rencontres des influences les plus diverses: les traditions grecque, romaine, germanique et anglo-saxonne; les influences arabe et chinoise. L'Amérique précolombienne jouissait pas quantitativement  , qualitativement parlant, de moins de contacts culturels puisque les deux Amérique forment ensemble un vaste hémisphère...Une certaine modalité  d'existence des cultures qui n'est autre que la manière  d'être ensemble. pages 72, 73

La civilisation implique la coexistence des cultures offrant entre elles le maximum de diversité et consiste même en leur coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l'échelle mondiale, de cultures préservant chacune leur originalité. page 77

La nécessité de préserver la diversité des cultures dans un monde menacé par la monotonie et l'uniformité n'a certes pas échappé aux institutions internationales...C'est le fait de la diversité qui doit être sauvé, non le contenu historique que chaque époque lui a donné et qu'aucune ne saurait perpétuer au-delà d'elle-même. Il faut donc écouter le blé qui lève, encourager les potentialités secrètes,  éveiller toutes les vocations  à vivre ensemble que l'histoire tient en réserve...La tolérance ...est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. La diversité des cultures humaines est derrière nous, autour de nous et devant nous.  page 85



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